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Chapter 42 - Le ticket de métro

**Le ticket de métro**

Je m'appelle Sarah.

J'ai quarante et un ans.

Et j'ai gardé un ticket de métro dans mon portefeuille depuis seize ans.

Un ticket tout simple.

Papier jauni, magnétique usé, date du 14 mars 2009.

Ligne 8, direction Balard.

Validé à 18 h 47.

Ce jour-là, j'avais vingt-cinq ans.

J'étais enceinte de trois mois.

Je rentrais du travail, fatiguée mais heureuse, la main sur le ventre encore plat.

Dans le wagon bondé, un vieux monsieur m'a cédé sa place.

Il avait un sourire tout ridé, des yeux bleus délavés.

Il m'a dit :

« Asseyez-vous, mademoiselle. Pour deux, c'est plus lourd qu'on croit. »

J'ai rougi.

Personne ne savait encore.

Même pas le père – un mec rencontré en soirée, qui avait filé dès que je lui avais annoncé.

J'ai murmuré « merci ».

Il a hoché la tête.

« Profitez-en. Les bons moments passent vite. »

À la station suivante, il est descendu.

Je ne l'ai jamais revu.

Deux semaines plus tard, j'ai perdu le bébé.

Fausses couche.

Seule à l'hôpital.

Seule dans l'appart vide.

Seule avec ce ticket dans la poche de mon manteau, que j'avais gardé machinalement.

Je ne sais pas pourquoi je l'ai conservé.

Au début, je le sortais tous les soirs.

Je le regardais.

Je pleurais.

Je me disais :

« C'était le dernier jour où il était là.

Le dernier jour où quelqu'un m'a vue enceinte.

Le dernier jour où j'étais encore une future maman. »

Les années ont passé.

J'ai rencontré un homme gentil.

On a eu une fille.

Elle a huit ans maintenant.

Elle rit fort.

Elle court partout.

Elle me prend dans ses bras sans raison.

Mais le ticket est toujours là.

Dans le même portefeuille.

Je le transfère à chaque fois que j'en change.

Je ne l'ai jamais jeté.

Parfois, quand je prends le métro, je le sors.

Je le touche.

Je me souviens du vieux monsieur.

De son sourire.

De sa phrase.

Je me demande s'il est encore en vie.

S'il se souvient de la jeune femme aux yeux rougis qu'il a aidée un soir de mars.

Je me demande si lui aussi a gardé quelque chose.

Un ticket.

Un souvenir.

Une preuve qu'il a été gentil, un jour, avec une inconnue qui portait la vie en elle.

Ma fille me demande parfois pourquoi je garde « ce vieux papier tout moche ».

Je lui dis :

« Parce qu'il me rappelle qu'on n'est jamais vraiment seul.

Même dans un wagon bondé.

Même quand tout s'effondre après. »

Elle ne comprend pas encore.

Mais un jour, elle comprendra.

Et moi,

je continuerai à le garder.

Ce ticket.

Ce petit bout de papier jauni.

Parce que c'est la seule preuve

que pendant un court trajet de métro,

quelqu'un a vu

ce que personne d'autre n'avait vu.

Et que, pendant quelques stations,

j'ai été

une future maman.

**FIN.**

Parfois, les plus grands trésors

sont les plus petits.

Un ticket.

Un sourire.

Un moment où un inconnu

te voit vraiment

quand toi-même tu ne te vois plus.

🤍

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