Nolan ne voyait plus grand-chose.
Le plafond défilait au-dessus de lui, blanc, aveuglant, alors que les ambulanciers le transportaient en urgence à travers les couloirs dévastés de l'hôpital. Autour, des cris, des ordres, et des corps recouverts de draps. Il reconnaissait certains visages. Des collègues. Des amis. Morts.
Il essayait de parler, mais sa voix se perdait dans le vacarme. Par moments, il perdait connaissance.
Puis revenait, pour voir des images fragmentées : un plafond fissuré, des étincelles, un bras tendu vers lui, des visages affolés.
Les héros de l'équipe B3 avaient pris le contrôle du bâtiment. Des silhouettes vêtues d'armures et de masques parcouraient les décombres.
— « Ils ont fait plus de dégâts matériels que de victimes… », grommela Synthol, le chef d'équipe, à travers son oreillette.
À l'autre bout du fil, un homme silencieux écoutait. Le directeur du programme Anti-Hyperno — la division gouvernementale chargée de superviser les super-héros.
Dehors, la foule se pressait derrière les rubans de sécurité. Les passants prenaient des photos, certains pleuraient.
L'hôpital ressemblait à une zone de guerre.
Pour cette mission, le gouvernement avait déployé cinq héros de rang Alpha :
Viperion, la femme-serpent, rapide et venimeuse.
Storme, surnommé le souffle destructeur.
Hook Lady, héroïne privée, mystérieuse, redoutable.
Elioplex, le cerveau de l'équipe.
Et Synthol, le leader, le plus expérimenté d'entre eux.
Elioplex contrôlait ses sept drones invisibles depuis l'extérieur du bâtiment.
Les machines scannaient les décombres, repéraient les survivants, cartographiaient les zones instables.
À chaque bip de son casque, un visage apparaissait sur son interface. Blessé. Vivant.
Lorsqu'une victime était coincée sous les gravats, Storme intervenait.
Son souffle pouvait fendre un mur comme une explosion, ou soulever une ambulance entière. Il balayait la fumée, dégageait les couloirs, ramenait la lumière.
Ensuite, Viperion et Hook Lady entraient en scène.
La première ondulait entre les flammes, son corps flexible comme un serpent, sa peau couverte d'écailles rétractables.
La seconde, Hook Lady, restait un mystère : une force brute, une vitesse inhumaine, une résistance quasi absolue.
Personne ne savait d'où elle venait, ni comment elle avait intégré le programme sans passer par la cérémonie publique obligatoire. Certains disaient qu'elle avait des appuis au sein du gouvernement. D'autres murmuraient qu'elle n'était pas totalement humaine.
Allongé sur un brancard, Nolan observait cette chorégraphie de sauvetage.
Les cris des blessés se mêlaient aux ordres militaires, aux pleurs, aux prières.
Des gens étaient venus pour des soins mineurs. D'autres pour payer leur parking. Tous piégés dans l'enfer.
Avant de s'évanouir à nouveau, Nolan murmura un nom :
— « Jecica… Jecica… »
Un pompier se pencha sur lui.
— « C'est votre femme ? »
Mais Nolan ne répondit pas. Il ne faisait que répéter le prénom, parfois en ajoutant : « Elle attend un enfant… »
Puis tout devint noir.
Nolan revoyait son enfance.
Une famille pauvre, survivant au jour le jour dans un ancien bunker abandonné.
Ses parents se battaient pour nourrir quatre enfants. Parfois, il n'y avait rien.
Ils volaient du pain destiné à être jeté. Parfois, ils jeûnaient.
Sa petite sœur, Melle, était la plus fragile.
La faim et la maladie l'ont lentement emportée. Les hôpitaux refusaient de la prendre — pas d'argent, pas de soin.
Nolan revoyait son père pleurer, impuissant.
Et un soir, il entendit sa mère murmurer qu'elle était prête à se vendre pour sauver leur fille.
C'était la dernière fois qu'il avait dormi sans cauchemar.
Quand il rouvrit les yeux, il était dans un autre hôpital.
La lumière était douce.
Jecica était là, debout près du lit, les yeux pleins de larmes et de soulagement.
— « Tu es réveillé… Tu m'as fait peur. »
— « J'ai rêvé de Melle… comme si je revivais tout. »
Elle hocha la tête.
— « C'est normal, ton corps est en état de choc. »
Le médecin entra, suivi de deux infirmières.
— « Miracle, docteur Nolan. Vous n'avez plus rien. Votre corps s'est régénéré à une vitesse… impossible. »
Les infirmières, jeunes et excitées, lui demandèrent des autographes — il était célèbre pour ses recherches biologiques.
Jecica, exaspérée, toussa pour les faire partir.
Lorsqu'ils furent seuls, elle s'assit près de lui.
— « Loretta va bien, notre bébé aussi. Tu nous as encore fait une peur bleue. »
Il sourit faiblement, mais ses yeux semblaient ailleurs.
Il se redressa soudain, inquiet.
— « Quelqu'un nous observe. »
Jecica fronça les sourcils.
— « Nolan… tu as pris la pilule Zéro, pas vrai ?! »
Il détourna le regard.
— « Je devais essayer. Elle fonctionne, mais… elle est instable. »
— « Instable ? Tu aurais pu mourir ! »
Un bruit mécanique se fit entendre : un drone flottait près de la fenêtre.
Nolan entendait des voix dans sa tête — ou peut-être par le micro du drone.
Une conversation. Le nom de Morice revenait.
Malgré la douleur qui revenait, Nolan se leva.
— « Je dois aller le voir. »
— « Tu es à moitié mort ! » cria Jecica.
Mais il ne l'écouta pas. En robe d'hôpital, il quitta la chambre.
Le personnel le saluait, admiratif, ignorant qu'il luttait pour ne pas s'écrouler.
Jecica le suivit, paniquée.
Ils arrivèrent devant la chambre 2012.
Nolan colla son oreille à la porte.
À l'intérieur, deux hommes en costume discutaient avec Morice.
— « Vous avez du potentiel. Le gouvernement veut vous recruter à nouveau. »
— « Non », répondit Morice d'une voix rauque. « J'ai fini avec vos mensonges. »
— « Dans ce cas, vous serez arrêté pour utilisation illégale de pouvoirs. Vous savez que la loi exige une carte d'autorisation héroïque. »
Avant qu'ils ne puissent répondre, Jecica entra dans la pièce.
— « Messieurs, je suis l'avocate de M. Morice. Vous n'avez aucun droit d'interroger mon client sans sa représentation légale. »
Silence.
Les deux agents échangèrent un regard, contrariés.
— « Très bien. Mais on se reverra au tribunal. »
Ils quittèrent la pièce.
Morice sourit faiblement.
— « Merci… »
Mais Nolan chancela soudain.
Une douleur atroce lui traversa le corps.
Il s'écroula, hurlant.
Jecica tenta de lui administrer les antidouleurs, mais rien n'y faisait.
La pilule Zéro se vidait de son système, et chaque nerf de son corps brûlait.
Autour de lui, le monde devint flou.
Le son s'éteignit.
Et une seule voix résonna, douce et enfantine :
— « Nolan, tu veux faire quoi quand tu seras grand ? »
C'était Melle.
Elle lui souriait, les mains tendues.
— « Je veux… sauver les autres. » murmura-t-il dans son rêve.
— « Tu es né pour ça. Retient-le : le seul vrai pouvoir, c'est la volonté. »
Et elle disparut dans la lumière.
Ailleurs, loin de l'hôpital, les membres de KJ rentraient dans leur repaire.
Des yeux brillaient dans l'obscurité avant que la lumière ne s'allume, révélant une foule silencieuse.
Un homme s'avança, la voix glaciale.
— « Vous ne l'avez pas ramené. Pourquoi ? »
Le Maître, le visage ensanglanté, ôta son masque fissuré.
— « Un contretemps. Mais votre père sera sauvé. »
L'homme fronça les sourcils.
— « Faites vite, alors. »
Carnage portait Mentos sur son dos.
— « Est-ce qu'il va s'en sortir ? » demanda un soldat.
— « C'est un KJ », répondit le Maître. « La force coule dans ses veines. »
Mentos ouvrit les yeux, esquissa un sourire.
— « Ce con ne m'a pas raté, hein ? »
Carnage rit.
— « Repose-toi, frangin. Tu guéris déjà. »
La lumière vacilla.
L'épisode se termina sur le regard du Maître, fixe, déterminé.
À suivre...
