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Chapter 6 - chapitre 6

Dans l’agitation de la cour, entre les éclats de rire et les bavardages sur le braquage, un seul regard ne suivait pas les autres.

Ange.

Lui, il fixait l’allée.

Et soudain, il le vit.

Gabriel.

Décontracté, mains dans les poches, petit sourire narquois comme à son habitude. Sa démarche était souple, son regard vif. Il saluait quelques potes, tapait dans des mains, comme si rien ne s’était passé.

Mais dans la tête d’Ange, tout s’était effondré la veille.

Gabriel s’approcha, enfin.

— Yo ! lança-t-il avec son habituel entrain. Alors les gars, vous parlez encore du braquage ou quoi ? C’est la une partout, même ma mère m’a réveillé avec ça ce matin.

— Ouais, répondit un mec de la bande. Tu t’imagines ? Ils sont passés par une foutue douche, mec ! Une DOUCHE ! On dirait Ocean’s Eleven, version locale.

— Des malades, ajouta un autre. Franchement… trop bien préparé. On dirait qu’ils connaissaient le resto par cœur.

Gabriel ricana.

— Faut croire que certains ont du temps libre pour faire des plans de film.

Ange sourit à peine. Il le regardait avec attention. Puis il lâcha calmement :

— Tu devais avoir une bonne vue depuis les toilettes, non ?

Gabriel tourna doucement la tête vers lui.

— Hein ? Qu’est-ce que tu racontes ?

— Je dis juste… t’as passé un bon moment là-bas ? Les toilettes étaient propres ?

Il insista bien sur le mot “toilettes”.

Gabriel haussa un sourcil, un peu surpris.

— Je vois pas le rapport. J’étais juste… tu sais très bien ce que je faisais.

— Ouais… avec Rachelle.

Il croisa les bras.

— T’as pas entendu un truc bizarre ? Genre… une vitre qui se brise ? Une porte forcée ? Des pas précipités ?

Gabriel le fixa, l’air confus.

— Frérot, t’es en train de m’interroger ou quoi ?

— Pas du tout, dit Ange avec un sourire sec. Je m’intéresse juste aux coïncidences. On était dans ce resto hier. Le braquage s’est produit là, exactement au même moment. Et apparemment, par une fenêtre de douche.

Tu trouves pas ça… étrange ?

Le silence s’installa une seconde. Gabriel se racla la gorge.

— Je crois que t’as trop d’imagination, mon gars. Tu crois quoi ? Que j’ai défoncé une vitre entre deux bisous avec Rachelle ? Tu vas me dire que c’est moi le cerveau du braquage maintenant ?

— J’ai rien dit, Gabriel. Je réfléchis, c’est tout.

— Eh bien réfléchis pas trop, mec, répliqua Gabriel plus sèchement. Ce genre de délire, c’est le début de la parano.

Ange garda les yeux rivés sur lui.

— Je préfère être parano que naïf.

Gabriel plissa les yeux, agacé.

Mais il n’ajouta rien.

Les feuilles volaient doucement dans la cour. La chaleur matinale n’était pas encore étouffante, mais le cœur d’Ange, lui, bouillonnait déjà.

Dans la salle de classe, les copies furent rendues. Lorsqu’Ange vit la sienne, son cœur se serra.

03/20.

Il resta figé. Ce n’était pas une erreur de calcul. C’était un effondrement.

— Monsieur… dit-il en se levant, la voix tremblante. Je… Je ne comprends pas. J’ai révisé toute la semaine. Est-ce que je peux vous expliquer mon raisonnement ?

Le professeur leva les yeux, agacé.

— Yao… Ne me fais pas perdre mon temps. Mauvaise copie. Mauvaise analyse. Mauvaise note. Tu n’es pas aussi brillant que tu veux le faire croire.

Ange déglutit. Il sentit les regards des autres sur lui.

Gabriel fronça les sourcils.

— Monsieur, vous n’avez pas à rabaisser les élèves comme ça. C’est pas professionnel.

Le professeur s’adressa à Gabriel sèchement.

— Toi, mêle-toi de tes affaires. Encore un mot et tu sors.

— Mais c’est vous qui dépassez les bornes ! Il vous parle avec respect, vous le ridiculisez devant tout le monde. C’est vous le prof ou le bourreau ?

— Gabriel. DEHORS ! cria le professeur, le doigt pointé vers la porte.

Ange se leva à son tour.

— Gabriel… Laisse tomber. Viens, on se barre. Ça sert à rien.

Mais Gabriel n’en démordait pas.

— Voilà pourquoi les jeunes perdent foi en l’école. Voilà pourquoi on dit que le système est pourri. C’est pas avec des profs comme vous qu’on va avancer !

Le professeur, hors de lui, hurla :

— Vous DEUX, DEHORS ! Immédiatement !

Sans un mot de plus, les deux amis sortirent.

Un peu plus tard, ils étaient assis sur un banc, dans un coin isolé du lycée. Le silence pesait. Les oiseaux chantaient, ironiquement.

Ange fixait le sol, l’air abattu.

— Tu vois, c’est pour ça que j’ai toujours gardé mes distances avec les gens… L’école, l’amitié, les règles… Tout est fait pour te faire croire à des choses qui n’existent pas. Une illusion bien emballée.

Gabriel le regardait sans parler.

Ange prit une inspiration.

— Dis-moi la vérité, Gabriel.

— À propos de quoi ?

— Le braquage d’hier soir. Le restaurant. La douche. Les caméras. C’était toi, non ?

Gabriel tressaillit légèrement, juste une fraction de seconde.

— Tu te fous de moi là ?

— Tu étais absent. Tu as reçu un appel. Ensuite, une bijouterie dans un restaurant qu’on ne connaissait même pas. Une douche défoncée. Ça fait beaucoup de coïncidences, tu ne trouves pas ?

— Donc tu me soupçonnes ?

— Je te demande juste de me dire la vérité. Pour de vrai. Au nom de notre amitié.

Un silence tendu s’installa.

Puis Gabriel se leva du banc, le regard sombre.

— Tu sais ce que je déteste le plus chez les gens, Ange ? Ceux qui prétendent t’aimer mais qui ne te font pas confiance. Tu crois que t’es différent ?

— Je ne prétends rien, j’essaie juste de comprendre !

— J’en ai rien à foutre de tes “je comprends” ou pas. Tu veux parler ? Appelle-moi. Mais pas pour tes bêtises, parce que j’ai horreur qu’on me traite comme un criminel sans preuve.

Et sans un mot de plus, Gabriel s’en alla, mains dans les poches, le regard fixé vers l’horizon.

Ange resta assis là, seul avec ses doutes, son cœur tiraillé entre raison et instinct.

Ange se leva sans un mot. Il n’avait plus envie de retourner en classe, ni de rester dehors. Il voulait juste rentrer. Rentrer chez lui. Se poser. Réfléchir.

Il arriva devant la maison. Il ne prit même pas la peine de frapper. Il poussa doucement la porte et entra.

La maison était silencieuse. Trop silencieuse.

Des voix brisées s’échappaient du salon. Il s’approcha à pas lents. Sa mère était assise, le téléphone en haut-parleur, en train de discuter avec quelqu’un. Il allait faire demi-tour, quand il entendit le mot “opération”.

Il s’arrêta net.

— Docteur… vous êtes sûr que l’opération est nécessaire ?

— Oui, madame. Je suis navré, mais sans cette intervention, votre état risque de se détériorer très rapidement. Vous n’avez que quelques jours au maximum.

Un frisson parcourut le dos d’Ange. Il sentit ses mains trembler.

— Et… combien ça coûte ?

— Un million cinq cent mille francs. L’opération est lourde, mais c’est votre seule chance.

Le silence, encore. Pesant. Tragique.

— Docteur… je… je n’ai pas cette somme. J’ai mis toutes mes économies dans les études de mon fils…

Ange sentit son cœur se tordre.

Il savait que sa mère était malade, mais pas à ce point. Il ne savait pas qu’elle était en train de mourir. Il ne savait pas que les études qu’il poursuivait avec acharnement étaient financées au prix de sa santé.

Il venait à peine de se faire humilier par un professeur. Il croyait encore que l’école était la seule issue. Il voulait que sa mère soit fière. Mais maintenant ? Elle allait mourir. Et lui, il n’avait même pas 1 000 francs en poche.

Le téléphone se coupa.

Sa mère resta assise, le regard vide, les mains tremblantes. Puis, lentement, elle se couvrit le visage… et se mit à pleurer. Silencieusement. Sincèrement. Comme une mère à bout de force, fatiguée de se battre seule.

Ange sortit de l’ombre, les larmes aux yeux. Il marcha jusqu’à elle, s’agenouilla, et l’entoura de ses bras.

— Maman… je suis là.

Elle essaya de cacher ses larmes, mais il était trop tard. Il avait tout entendu.

Il la serra fort, plus fort que jamais.

Et dans sa tête, un tourbillon noir de pensées commença à naître.

Des pensées qu’il n’aurait jamais osé avoir avant.

Où trouver cet argent ?

Comment sauver sa mère ?

Et si… le bon chemin n’était pas celui qu’on lui avait toujours enseigné ?

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