Danielle s’était installée à table avec un sourire énigmatique, croisant les jambes comme si elle venait de s’inviter à un jeu dont elle connaissait toutes les règles.
Elle regarda Gabriel, esquissa un sourire léger et dit :
— Désolée d’interrompre votre petit dîner… en famille. Mais on pourrait se parler un instant, Gabriel ? À côté ?
Gabriel se leva presque aussitôt, mais une main agrippa sa manche. Rachelle.
— Tu ne vas pas partir comme ça, non ? dit-elle d’un ton ferme. Tu ne nous as même pas présenté ton invitée surprise. Et puis… j’aimerais bien savoir qui elle est, moi.
Gabriel tenta de rester calme. Il ouvrit la bouche, prêt à répondre, mais Danielle l’interrompit sèchement :
— Oh, pas la peine de faire les présentations. Surtout venant de la salope qui suit mon mec jusque dans la douche.
Un silence brutal s’abattit sur la table.
— Attends… quoi ?! s’écria Ange, les yeux ronds comme deux pleines lunes.
Rachelle se leva brusquement, renversant presque sa chaise.
— Tu viens de m’appeler salope, espèce de chienne ?! Tu crois que je vais laisser passer ça ?!
Gabriel se leva aussi, tendu, les bras écartés pour les séparer.
— Danielle, calme-toi. Dis pas n’importe quoi, on n’a rien fait dans cette douche, je te le jure…
Ange le fixa, choqué.
— Attends une seconde… Gabriel, c’est vrai ce qu’elle dit ?
Gabriel hésita. Son regard passa de Danielle à Ange.
— Non… Bien sûr que non, balbutia-t-il. Elle… elle exagère tout.
Ange soupira, blessé.
— C’est bien ce que je pensais. J’aurais dû m’en douter.
Il se leva sans un mot de plus, attrapa sa veste et quitta la salle.
À la table, les voix montèrent encore d’un cran entre Rachelle et Danielle, leurs insultes se mêlant à des accusations à peine voilées.
— Assez ! hurla Gabriel en frappant du poing sur la table, faisant taire tout le monde.
Son regard glacial se posa sur Rachelle.
— Sors d’ici. Tout de suite.
Rachelle resta figée, blessée.
— Tu… Tu es sérieux là ? Après tout ça ?
— Ne m’oblige pas à me répéter, dit-il d’une voix plus dure.
Rachelle le fixa encore une seconde, les yeux brillants, puis elle tourna les talons.
— Tu n’es qu’un enfoiré, Gabriel.
La porte claqua derrière elle.
Gabriel soupira longuement, se passant une main sur le visage. Il se tourna vers Danielle, les mâchoires serrées.
— T’es contente, maintenant ?
Danielle le regarda sans sourciller, comme si le chaos ne l’avait même pas effleurée
Ange marchait dans la rue, une glace à la main. Le froid sucré n’atténuait en rien la brûlure dans sa poitrine. Il lécha distraitement la boule à la vanille tout en fixant le vide, perdu dans ses pensées.
“L’amitié… Quelle blague. Une illusion douce et laide. On croit se rapprocher, on croit faire confiance, et à la fin on se retrouve seul, humilié, trahi. J’aurais dû rester dans mon coin. J’aurais dû me méfier. J’ai toujours su que les gens n’étaient que des acteurs, même les plus souriants.”
Il s’arrêta devant un banc et s’assit, laissant sa glace fondre doucement.
“Gabriel… à peine un jour qu’on se fréquente vraiment et déjà tu me poignardes dans le dos ? J’étais censé être ton ami, pas un figurant dans ta petite série de conquêtes.”
Pendant ce temps, au restaurant, Gabriel et Danielle étaient restés seuls. Il tenta un sourire pour détendre l’atmosphère.
— Bon… Désolé pour tout à l’heure. C’était pas prévu, ce bordel.
Danielle ne sourit pas.
— Je suis pas venue ce soir pour tes excuses ou tes blagues, Gabi. Tu sais pourquoi je suis là. Tu m’as raccroché au nez quand je t’ai appelé. Et maintenant tu veux jouer au mec cool ?
Gabriel perdit son sourire.
— À quelle heure on passe à l’action ? demanda-t-il après un bref silence.
Danielle regarda sa montre.
— Trois heures du matin.
Il hocha la tête, un sourire en coin.
— Parfait, on a tout le temps devant nous. Mais y’a un truc que je dois régler avant.
Quelques minutes plus tard, ils retrouvèrent Ange, toujours assis sur son banc, la glace presque entièrement fondue.
Gabriel s’approcha prudemment.
— Frérot…
Ange le regarda du coin de l’œil, sans rien dire.
Gabriel s’assit à côté de lui.
— Écoute… je veux pas que tu partes sur un malentendu. Ce qui s’est passé, c’était rien. Sérieux. Elle m’a chauffé, j’ai résisté. Enfin presque. C’était pas censé aller aussi loin. Et j’ai stoppé tout, je te le jure.
Ange restait silencieux, alors Gabriel poursuivit.
— Cette fille, Rachelle, c’est pas une fille bien. C’est une manipulatrice. Et toi, t’es un gars cool. Tu mérites mieux qu’elle. Je te dis ça franchement. Même si j’ai merdé, j’te respecte, Ange.
Ange soupira, puis tourna lentement la tête vers lui.
— T’es sûr de toi ? Parce que moi… j’ai pas envie de jouer les pantins.
Gabriel sourit, presque sincèrement cette fois.
— Je suis sûr. Viens, je te raccompagne.
Danielle, à quelques pas de là, les observait en silence, les bras croisés. Gabriel lui lança un regard entendu, puis mit une main sur l’épaule d’Ange.
— T’as pas idée de ce qu’on va accomplir ensemble, frérot.
Ils repartirent tous les trois, dans la nuit noire, sans savoir que cette soirée serait le point de départ d’un engrenage beaucoup plus dangereux qu’aucun d’eux ne pouvait encore imaginer.
Après ce moment tendu, Gabriel raccompagna Ange jusqu’à chez lui. Sur le chemin, ils parlèrent peu. Gabriel, d’un ton presque repentant, tentait encore de le rassurer. Mais Ange restait plongé dans ses pensées.
— Frérot, dors bien. Demain sera une autre journée.
Ange lui fit un simple signe de tête avant de rentrer chez lui. Une fois dans sa chambre, il s’écroula sur le lit, épuisé. L’amertume, la confusion… tout se mélangeait dans sa tête. Il ferma les yeux.
“Demain… Une autre journée.”
Le sommeil l’emporta rapidement.
Le lendemain matin, à l’université, l’ambiance était étrange. À peine avait-il franchi le portail qu’il remarqua des attroupements anormaux dans la cour. Des murmures, des exclamations, des regards excités.
Il s’approcha du groupe le plus proche. Tous étaient tournés vers l’écran géant installé dans le hall de l’administration, qui diffusait un flash spécial d’information.
Ange, curieux, tapota l’épaule d’un étudiant devant lui.
— Il se passe quoi ici ?
L’étudiant tourna la tête, les yeux brillants d’excitation.
— T’es pas au courant l’intello ? Hier soir, y’a eu un braquage ! À la bijouterie du restaurant de la place ! Et à ce qui paraît, c’était l’œuvre de vrais professionnels. Les mecs connaissaient les lieux par cœur. Ils ont désactivé toutes les caméras, sont passés par une fenêtre de douche défoncée, ont pris les bons coffres, et… pouf, disparus comme des ombres !
Ange écarquilla légèrement les yeux. Un frisson lui parcourut l’échine.
“Le restaurant de la place ?”
C’était là qu’ils avaient mangé la veille.
“Une bijouterie ? Je n’ai rien vu…”
Mais il se souvint. Le coup de fil urgent de Gabriel. Sa disparition avec Danielle. Le comportement étrange de Rachelle. Les tensions. La confusion.
Et surtout, cette histoire de douche…
Une pensée germa en lui, douloureuse, dérangeante. Il leva doucement les yeux, et c’est là qu’il le vit.
Gabriel.
Il marchait vers lui, un sac sur l’épaule, l’air calme. Comme si de rien n’était.
Mais cette fois, Ange le fixait autrement. Plus comme un ami.
Mais comme une énigme.
Ou pire…
Comme un suspect.