« Il y a des visages qu'on oublie.
Et puis il y a ceux qui restent coincés comme une écharde dans la mémoire. »
—
Elle n'a rien dit.
Pas un mot.
Elle l'a juste regardé. Une seule fois.
Et Nail a senti son monde basculer.
—
La rumeur parlait d'une fille étrange dans la cour intérieure.
Une fille aux mains tachées d'herbes, aux habits simples, aux cheveux attachés sans soin.
Rien d'élégant.
Rien de raffiné.
Mais il suffisait d'un regard. Un seul.
Pour comprendre que cette fille-là… savait tout.
—
Son nom : Yuèyao.
Autrefois appelée autrement. Aujourd'hui, elle était un mystère silencieux.
Ni concubine, ni dame noble.
Une apothicaire sans titre.
Une servante des couloirs invisibles.
Mais tous la craignaient.
Pas parce qu'elle parlait.
Parce qu'elle voyait.
Et parce que son corps lui-même était devenu une arme.
On disait que son sang pouvait dissoudre la chair.
Que sa sueur était toxique, son souffle étrange.
Qu'elle avait saturé son propre corps de poisons, goutte après goutte, année après année.
Pas pour mourir.
Mais pour devenir intouchable.
Elle était le poison devenu femme.
—
Xū Fang — alias Nail — l'a croisée dans le jardin médicinal.
Il passait.
Elle s'est retournée.
Leurs yeux se sont croisés.
Pas un battement de cœur.
Mais dans son regard, il a vu quelque chose.
Pas du mépris. Pas de peur.
Du jugement.
Et pire encore : de l'indifférence.
Il est resté figé. Comme piqué.
Et elle, calmement, a repris ce qu'elle faisait.
Comme s'il n'existait pas.
C'était la première fois qu'on ne le voyait pas comme un chien…
Mais comme rien du tout.
—
Cette nuit-là, il n'a pas fermé l'œil.
Ce n'était pas sa beauté.
Ce n'était pas sa voix — il ne l'avait même pas entendue.
C'était ce mur invisible qu'elle avait dressé devant lui.
Comme si même frapper à sa porte était déjà trop.
—
Le lendemain, il a demandé à Liyan :
— « Qui est Yuèyao ? »
Liyan a souri.
— « Une fille curieuse. Dangereuse. Tu ne devrais pas t'approcher d'elle. »
— « Pourquoi ? »
— « Parce qu'elle n'a jamais eu besoin de personne pour devenir ce qu'elle est.
Et elle déteste ceux qui veulent briller. »
—
Mais Nail n'a pas reculé.
Il voulait savoir.
Il voulait comprendre.
Pas pour l'aimer.
Pas pour l'impressionner.
Pour la dépasser.
Parce qu'il avait compris une chose :
Elle était un mur. Et lui, un chien.
Et pour briser ce mur, il faudrait devenir un loup.
Il le sentait : elle aussi, au fond, refusait son destin.
Peu importe son rang inférieur, même Liyan acceptait ses caprices.
Ils étaient pareils. Deux rebelles silencieux.
—
Le surlendemain, il a pris son courage à deux mains.
Il s'est présenté devant elle, dans le pavillon des herbes.
— « Mademoiselle Yuèyao… est-ce que je vous dérange ? »
Elle le regarda. Froide.
— « Oui. Tu déranges. »
Puis elle plissa les yeux.
— « Ah… tu es le chien de Liyan.
Qu'est-ce que tu fais ici ?
Tu n'as rien à faire loin de ton maître. »
Il voulut s'approcher.
— « Je voulais juste regarder ce que vous faisiez avec cet arbre— »
— « Non. Dégage. Tu me déranges. »
Il s'éloigna, sans rien dire.
Puis dans un murmure, pour lui seul :
— « C'est que le début. »
—
Fin du Chapitre 3