La pluie tombait sans fin sur les ruines d’Althera.
Non plus comme une malédiction… mais comme une bénédiction.
Les pierres noircies, les statues brisées, les portes fendues… tout semblait renaître lentement sous la main des rejetés. Kael observait ce renouveau avec une vigilance froide. Il n’était pas dupe. Ce n’était qu’un répit. La guerre, elle, approchait.
Il avait ordonné trois choses :
1. Renforcer les murs.
2. Former les jeunes.
3. Trouver des alliés.
Ce dernier ordre mena Tarin et Mira jusqu’aux forêts du nord, là où des groupes de métis démoniaques auraient fondé un campement caché depuis la dernière purge. Selon les rumeurs, leur chef, un certain Raze, refusait toute alliance… mais Kael avait foi. Ils n’étaient plus assez nombreux pour se diviser.
Ira, de son côté, cartographiait les tunnels magiques sous Althera. L’un d’eux semblait mener directement aux Ruines de Valsher, un ancien centre de recherches interdit par les vampires eux-mêmes.
“ Un lieu maudit.” dit-elle à Kael.
“Ils y expérimentaient sur les nôtres. Même les nobles n’en parlent qu’en chuchotant.”
“C’est là que nous irons.” répondit-il.
“Tu penses y trouver quoi? ”
Il releva les yeux vers le ciel orageux.
“Des armes. Des vérités. Peut-être même… notre futur.”
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Ils partirent au lever du jour.
Kael, Ira, Ruk, et deux jeunes hybrides : Nyssa, capable de manipuler les ombres, et Eloen, dont le sang brûlait parfois comme du feu pur. Mira et Tarin n’étaient pas encore revenus.
Le tunnel était vieux, rongé de racines. Des glyphes vampiriques, inactifs, ornaient les parois. Au bout de trois heures de marche dans la pénombre, ils débouchèrent dans une grande caverne, où les restes de machines anciennes se mêlaient à des ossements.
Kael s’arrêta.
Il posa la main sur une colonne métallique tordue. Une vision le frappa : cris, aiguilles, chaînes, flammes. Des hybrides sacrifiés. Disséqués. Brûlés vifs.
Ira frissonna. Même elle, pourtant endurcie, ressentait la douleur gravée dans l’air.
“ Pourquoi ce lieu n’a-t-il jamais été détruit ?” demanda-t-elle.
“ Parce que même l’oubli est utile.” murmura Kael.
L’histoire qu’on enterre devient un secret. Et un secret devient une arme.
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Au centre de la ruine, ils trouvèrent une salle scellée. Une voix ancienne résonna dans la tête de Kael.
“ Fils du sang impur. Tu n’étais pas censé revenir ici…”
Il répondit par le silence. Puis posa la main sur le verrou.
Le sceau éclata. La porte s’ouvrit.
Et à l’intérieur, flottait une silhouette enfermée dans un cristal rouge.
Une femme. Immobile. Yeux clos.
“ C’est une hybride.” souffla Ira.
“Non… quelque chose de plus. Elle n’est ni morte ni vivante.”
Kael sentit quelque chose s’agiter dans son sang. Une mémoire oubliée. Un nom jamais prononcé.
Il s’approcha. Le cristal pulsa au rythme de son cœur.
La femme ouvrit les yeux.
Et le monde changea.
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Ses yeux étaient entièrement translucide, avec des pupilles, sans lumière. Mais dans leur noirceur, Kael vit des siècles d’agonie figés, une souffrance muette contenue dans un éclat de cristal.
La femme ne parla pas.
Mais sa voix résonna dans leurs esprits.
“Qui… suis-je ?”
Nyssa recula, instinctivement. Eloen grimaça de douleur, une main sur le front.
Kael, lui, resta immobile. Le lien mental s’était refermé autour de lui comme une chaîne douce, presque familière.
“ Tu es comme moi.” dit-il. Ni humaine. Ni vampire. Quelque chose entre les deux.
“ Non. Je suis… davantage. Je suis l’échec… et la promesse.”
Le cristal se fissura lentement. Un liquide rouge et noir en suinta, formant des arabesques au sol. Le souffle magique dans la pièce se fit lourd, presque oppressant.
Ira s’avança, lame en main.
“ On ne sait pas ce que c’est. Si elle perd le contrôle…”
“ Elle ne le fera pas.“ coupa Kael.
“ Elle a été enfermée. Torturée. Pas par choix. Par peur.”
Le cristal explosa dans un éclat de lumière froide.
La femme tomba à genoux, nue, le corps maigre, mais étrangement préservé. Des marques de runes effacées couvraient son dos. Une par une, elles s’éteignirent.
Kael s’agenouilla.
“ Comment t’appelles-tu ? ”
Elle leva les yeux vers lui. Une larme de sang coula le long de sa joue.
“ Je n’ai jamais eu de nom… ”
Kael hésita. Puis dit simplement :
“ Alors je t’en donne un. Sira. Cela signifie "renaissance" dans l’ancien langage vampirique.
Elle cligna des yeux. Et pour la première fois, elle sourit faiblement.
“ Sira… Oui. Je suis Sira.“
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De retour à Althera, la tension monta.
Ruk ne cachait pas sa méfiance.
“ On ne ramène pas une bombe magique dans notre refuge, Kael. Elle a été enfermée pour une raison.”
“ Elle a été enfermée parce qu’elle était trop proche de la vérité.” répondit Kael.
“ Et maintenant, elle est des nôtres.“
Mira et Tarin étaient revenus des forêts du nord, blessés, mais vivants. Ils avaient échoué à convaincre le clan des métis démoniaques… mais n’étaient pas revenus seuls.
Avec eux marchait un homme à la peau pâle, vêtu d’une armure gravée d’os et de flammes, un regard perçant comme la lame d’un poignard.
“ Voici Raze, dit Mira. Il n’a pas accepté ton alliance.“
“ Et pourtant il est là.“ nota Kael.
Raze sourit.
“ Je ne suis pas venu pour t’aider. Je suis venu pour te tester. Tu veux un royaume, rejeté ? Prouve que tu le mérites.“
Kael s’approcha, lentement, le regard dur.
“ Tu auras ta preuve.“
“ Alors prépare-toi.“ murmura Raze.
“ Je vais réveiller tes morts.“
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La nuit était tombée sur Althera, et le vent portait avec lui l’odeur de cendres et d’orage.
Dans la grande cour intérieure, les rejetés s’étaient rassemblés en cercle silencieux.
Au centre, Kael et Raze se faisaient face.
Raze dégageait une aura différente.
Son sang démoniaque pulsait en rythme avec une magie ancienne, brute, indomptable. Sur son torse nu, des glyphes noirs pulsaient à chaque battement de cœur.
“ Tu prétends pouvoir nous unir.“ dit-il d’une voix calme.
“ Mais la force ne se décrète pas. Elle se démontre.“
Kael hocha lentement la tête. Il n’était pas homme à faire des discours.
Il dégaina simplement le sang.
Son bras se couvrit de veines rouges lumineuses. Une lance d’hémoglobine cristallisée naquit dans sa main. Derrière lui, Sira observait, immobile.
Raze sourit.
“ Bien.“
Il frappa le sol du pied.
Le cercle de pierre vibra.
Des ombres s’élevèrent. De longues silhouettes difformes, aux yeux blancs, surgies des souvenirs de Kael lui-même. Des visages de son passé. De ceux qu’il n’a pas pu sauver. De ceux qu’il a oubliés.
La voix de Raze résonna comme un ordre ancien :
“ Affronte tes morts. Ou reste à jamais leur prisonnier.“
Kael recula d’un pas. L’air vibrait. Son propre esprit luttait contre l’invocation.
Les ombres avançaient, chuchotant :
"Tu nous as abandonnés."
"Tu n’étais pas assez fort."
"Tu n’as pas protégé notre village."
Il serra les dents. Sa lance trembla.
Puis… il hurla.
Pas de douleur. Pas de peur.
Un cri de révolte.
La lance explosa en éclats. Ses bras s’ouvrirent, et une marée de sang brûlant jaillit de sa poitrine, frappant les ombres de plein fouet.
“ Je ne vous ai pas oubliés ! “ cria-t-il.
“ Je vous porte ! Tous les jours ! À chaque pas ! À chaque combat !“
Les ombres hurlèrent… et se dissipèrent.
Il tomba à genoux, le souffle court. Son sang fuma encore un instant, puis se résorba.
Silence.
Raze s’approcha lentement. Il tendit la main.
Kael la saisit.
“ Tu les as affrontés” dit le demi-démon.
“ Pas avec la force brute… mais avec la mémoire. Tu es digne.“
Il se tourna vers la foule.
“ À partir de ce jour… moi, Raze, je me bats pour Althera.“
Un grondement sourd s’éleva.
Pas des cris. Pas des acclamations.
Mais un chant grave, ancien, entonné par les rejetés.
Un chant sans paroles. Un appel à la guerre.
Et dans l’ombre, Sira murmura pour elle-même :
“ Le monde ne sait pas ce qui vient…
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Le soleil peinait à percer les nuages gris qui couvraient Althera. Mais dans la cour, les cris des combattants résonnaient comme un tonnerre rythmé.
Kael avait ordonné une chose : la préparation totale.
Raze menait l’entraînement. Il ne connaissait ni douceur ni répit. Son arme fétiche – une grande hache de guerre noire – servait autant à enseigner qu’à menacer.
“ Recommence. “ grogna-t-il à un adolescent tombé à genoux.
“Tu crois que l’Empire te fera des pauses ? Tu crois que les chevaliers sacrés t’attendront pour reprendre ton souffle ? Lève-toi, ou meurs maintenant.“
Kael observait depuis les hauteurs.
Il avait regroupé les jeunes en groupes :
Les Lames Brisées : éclaireurs agiles et assassins d’ombre, sous les ordres d’Ira.
Les Foudres Noires : unités de choc dirigées par Ruk, spécialisées en force brute et résistance.
Les Sang-Veux : formés aux arcanes du sang et de la magie hybride, instruits directement par Sira.
Chacun apprenait à tuer.
Mais Kael leur apprenait pourquoi tuer.
“ Vous n’êtes pas des monstres.“ répétait-il.
“ Vous êtes la réponse à une époque qui nous nie. Vous ne portez pas la vengeance, mais la reconstruction. Et pour cela… il faut survivre.“
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Au fond du temple reconstruit, Sira travaillait en silence.
Elle ne dormait jamais. Elle étudiait. Méditait. Et parfois… pleurait, sans un bruit.
Un soir, Kael la retrouva agenouillée devant un ancien miroir de pierre, où une rune pulsait faiblement.
“ Tu cherches à voir le passé ?“ demanda-t-il.
“ Non.“ murmura-t-elle.
“ Je cherche à briser un pacte.“
Kael s’approcha. Son regard se posa sur les veines noires qui couraient le long des bras de Sira.
“ Tu es liée à l’Empire.“
Elle hocha la tête.
“ J’ai été créée dans les laboratoires de Valsher. Pas née. Construite. Un fragment de conscience vampirique, un cœur humain… et un noyau magique démoniaque. J’étais censée être l’arme ultime contre les autres races.“
Kael serra les poings.
“ Tu es plus que ça.“
Elle le regarda avec une lueur douloureuse dans les yeux.
“ Peut-être. Mais mon sang est encore lié à l’un des douze chevaliers sacrés. Son nom est effacé de ma mémoire… mais s’il m’appelle, je viendrai. Même contre ma volonté.“
Le silence tomba comme une lame.
Kael posa une main sur son épaule.
“ Alors on brisera ce lien. Ensemble. Même s’il faut tuer un immortel pour y arriver. “
Sira ferma les yeux.
Et pour la première fois depuis des siècles, elle espéra.