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Chapter 2 - Chapitre 2 – Les Pierres du Rejet

Le vent soufflait sec et brûlant sur les contreforts du Mont Halgrim, une chaîne rocheuse oubliée à la frontière du territoire humain et des terres vampiriques. C’est là, entre falaise et caverne, que Kael et ses compagnons avaient trouvé refuge.

Ils étaient sept au total. Sept survivants. Sept âmes bâties de sang mêlé, de douleur et de silence.

Kael, debout face au précipice, observait l’horizon. Son manteau noir claquait dans l’air sec, et son regard scrutait l’Est, là où l’on disait que l’Empire érigeait un nouveau poste frontière. Une fois de plus, ils s’étendaient. Toujours plus loin. Toujours plus fort.

Derrière lui, Ira fixait le sol. Elle aiguisait une lame d’obsidienne, volée à un démon supérieur, et parlait rarement.

“Tu comptes rester là combien de temps ?” demanda-t-elle sans le regarder.

“ Jusqu’à ce que le monde brûle.” répondit-il.

Elle sourit. À sa façon.

“ T’as de l’ambition, pour un silencieux.”

Kael ne répondit pas. Il n’était pas homme de longues phrases. Mais dans son regard, tout était déjà dit.

Il descendit dans la caverne, où les autres l’attendaient. Un feu discret réchauffait les pierres. Autour, des visages fatigués, jeunes pour la plupart, mais marqués par les chaînes.

Il y avait :

Tarin, mi-vampire, mi-humain, aux yeux jaunes perçants, ancien voleur dans les rues d’Iskar.

Mira, hybride aux origines floues, capable de sentir la magie des autres races.

Ruk, un colosse au sang démoniaque, muet depuis que sa langue avait été coupée dans un camp d'extermination.

Et deux enfants, jumeaux, à peine âgés de huit ans, mais déjà recherchés par les milices de purification humaine.

Kael s’agenouilla près du feu.

“ Nous ne sommes pas assez nombreux.” dit-il. Pas assez forts. Pas encore. Mais nous avons quelque chose qu’ils n’auront jamais.

“ La haine ? ” demanda Tarin.

“Non. La vérité.”

Ils le regardèrent. Certains confus, d’autres intrigués.

Kael sortit une carte usée de sa cape. Un parchemin volé à un noble vampire, contenant les anciens chemins oubliés du continent. Il y désigna un point, à la lisière du monde.

“Ici. Une cité morte. Abandonnée depuis la dernière guerre entre vampires et démons. Un lieu neutre. Invisible pour les humains.”

“Tu veux qu’on s’y installe ?” demanda Mira.

“ Je veux qu’on y bâtisse le commencement.”

“ Le commencement de quoi ?” souffla-t-elle.

Il leva les yeux. Sa voix, grave et calme, résonna comme une sentence.

“ D’un royaume. Pour nous.”

---

Le chemin vers la cité morte fut plus périlleux que prévu. Les anciens sentiers étaient envahis de racines, d’épines et de créatures sauvages. Même Mira, sensible à la magie, n’arrivait pas toujours à détecter les pièges laissés par les anciens mages de guerre.

Ils marchèrent pendant trois jours sans repos. La pluie les suivait comme une malédiction. Ruk portait les deux enfants sur ses larges épaules. Ira fermait la marche, silencieuse, ses lames toujours prêtes. Kael ouvrait la voie.

Ils atteignirent enfin la vallée, dissimulée entre deux murailles naturelles de pierre noire. L’entrée de la cité était gardée par deux statues brisées, rongées par le temps. D’antiques runes recouvraient les murs, éteintes depuis longtemps.

Kael s’arrêta. Il posa la main contre la pierre.

Une pulsation. Faible, mais réelle.

“Cette cité n’est pas morte.” dit-il.

“Comment peux-tu en être sûr ?” demanda Mira.

Il recula d’un pas. Ses yeux s’illuminèrent brièvement d’un éclat rouge sang.

“ Parce qu’elle m’appelle.”

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À l’intérieur, les rues étaient recouvertes de poussière, de ronces, d’ossements blanchis. Mais les bâtiments tenaient encore. Mieux encore : certaines structures semblaient résister au temps grâce à une magie ancienne.

Ils établirent leur camp dans un ancien temple central, où le toit était effondré, mais les murs encore solides. Ruk érigea une barricade avec les pierres tombées. Tarin partit fouiller les maisons pour récupérer ce qu’il pouvait.

Kael, lui, descendit seul dans la crypte du temple.

Il n’y avait pas de lumière. Seulement le silence, et la sensation étrange d’être observé.

Au fond du sanctuaire, une stèle. Recouverte d’inscriptions anciennes en langue vampirique. Il en lut quelques fragments à voix basse.

"Ici sommeille le pacte brisé.

Ici dort le sang trahi.

Que le Fils Rejeté lève la main,

Et la pierre lui répondra."

Kael sentit son cœur battre plus vite. Était-ce une prophétie ? Un avertissement ? Il approcha sa paume de la stèle.

Le contact fut immédiat.

Une lumière rouge s’échappa des gravures. Une énergie ancienne se répandit dans la crypte, froide, mordante. Kael recula d’un pas, mais ne brisa pas le lien.

Des visions envahirent son esprit. Des cités tombées, des trahisons, des flammes, et au centre, une silhouette aux yeux rouges, au regard vide, tenant une couronne brisée.

Puis tout s’éteignit.

La stèle se fissura. Une dalle s’ouvrit lentement dans le sol, révélant un escalier descendant plus profondément dans la terre.

Kael descendit.

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Ce qu’il trouva en bas n’était pas un tombeau.

C’était un trône.

Un trône de pierre, couvert de chaînes, d’épines et de symboles maudits. Derrière lui, un mur gravé portait un unique mot, écrit dans une langue ancienne, mais que Kael comprit instinctivement :

'REJETÉ'

Il posa la main sur l’un des anneaux de métal entourant le trône. Une voix résonna dans sa tête, glaciale et impérieuse.

“Tu n’es pas né roi… Mais tu peux le devenir.”

Kael ne répondit pas. Il s’assit.

Les chaînes se tendirent. Le sang coula de ses bras, de son dos, de sa poitrine. Le trône exigeait un prix. Et Kael paya.

Lorsque ses yeux se rouvrirent, une marque rouge, incandescente, brûlait désormais sur sa main : un symbole d’ascendance perdue. Une vieille légende vampirique, celle d’un Roi sans Couronne.

Il n’était plus seulement un survivant.

Il était le commencement.

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Lorsqu’il remonta des profondeurs, ses pas étaient plus lourds, mais son regard plus clair. Kael ne parla pas. Il n’en avait pas besoin.

Ira sentit immédiatement le changement. Son regard se fixa sur la marque rouge incandescente qui brillait faiblement sur sa main droite. Elle ne dit rien. Mais pour la première fois depuis leur rencontre, elle s’inclina légèrement devant lui.

Tarin, Mira et les autres suivirent le mouvement. Il n’y avait pas de cérémonie. Pas de discours. Seulement un respect silencieux. Une reconnaissance instinctive.

Kael n’était plus seulement leur guide.

Il était leur Seigneur.

Dans les jours qui suivirent, la cité reprit vie.

Tarin restaura les murs. Mira purifia les anciennes salles corrompues. Ruk creusa des galeries de stockage. Ira entraîna les plus jeunes à manier les dagues. Kael, lui, veillait. Il planifiait. Étudiait les glyphes gravés sur les pierres, retraçait les anciens réseaux de transport magiques oubliés.

Il ne dormait presque jamais. La nuit, il méditait devant le trône. Et dans ses rêves, des voix anciennes lui parlaient. Des fragments de mémoire d’un autre temps, d’un autre sang.

Il apprit que la cité s’appelait autrefois Althera.

Un lieu neutre où les métis étaient autrefois accueillis en secret par les sages des trois races… avant d’être trahis par les humains et réduits au silence.

Kael jura de restaurer ce nom. De rendre justice à son passé.

Mais l’Empire avait déjà remarqué des mouvements.

Une semaine plus tard, au crépuscule, ils arrivèrent.

Une trentaine d’hommes, vêtus de capes blanches marquées du sceau de la Déesse, portant des lames en argent et des croix de purification.

Les Inquisiteurs Itinérants.

“ Ils nous ont trouvés.; murmura Mira depuis une tour effondrée.

Kael, depuis les hauteurs du mur, observa leurs mouvements. Pas d’étendard officiel. Pas d’annonce. Ils étaient là pour éradiquer, non pour parlementer.

Il tourna la tête vers Ira.

“ Pas de prisonniers.” dit-elle.

Kael acquiesça.

Ce fut rapide. Silencieux. Précis.

La nuit tomba comme un voile de mort. Ruk jaillit des ombres et brisa les lignes. Mira lança une brume qui aveugla les archers. Ira, fondue dans l’obscurité, trancha gorges et tendons.

Et Kael…

Kael apparut au centre du champ de bataille, ses yeux rougeoyants comme deux torches vives. Il ne portait pas d’arme. Il était l’arme.

Son sang s’enroula autour de son bras, formant une lance organique qu’il propulsa dans le cœur du chef ennemi. Puis il enchaîna. Sans mot, sans pitié. Chaque mouvement était une leçon. Chaque impact, une déclaration.

À la fin, il ne restait qu’un seul survivant.

Un jeune soldat, à peine adulte, recroquevillé près d’un rocher, trop terrorisé pour fuir.

Kael s’approcha de lui. Le garçon tremblait.

“Pitié… je… je n’ai fait que suivre les ordres…”

Kael le fixa longuement. Puis parla.

“ Va. Dis à ton Empire… que les rejetés se lèvent.”

Le garçon courut sans se retourner.

Cette nuit-là, Kael grava un message à l’entrée d’Althera, à la lame, en lettres de sang séché :

"Ici commence la Fin des Règnes."

Et pour la première fois, les étoiles au-dessus d’Althera brillèrent sans crainte.

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La nuit fut calme après le massacre.

Trop calme.

Kael se tenait seul sur la tour centrale de l’ancien temple. Le vent agitait ses cheveux sombres, et ses yeux rouges contemplaient l’horizon. Là-bas, au loin, une lueur blanche dansait dans le ciel.

Un message.

Une réponse.

L’Empire avait entendu.

Bientôt, ils viendraient en nombre.

Mais Kael n’avait pas peur. Il n’était plus un enfant seul, errant dans un royaume qui le rejetait.

Il était le rejeté devenu roi. Il était le silence devenu flamme. Il était Kael d’Althera, et il ne tomberait plus jamais à genoux.

Derrière lui, les pierres de la cité vibraient doucement.

Elles aussi s’éveillaient.

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