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Chapter 41 - Son ami ne le voit pas.

 Svan va comprendre. Il va comprendre que l'Ange, après avoir regardé dans la longue-vue, a identifié l'inconnu comme le Porte-voix des sorcières Düsud. Il déduira que l'Ange ne lui a pas fait confiance, qu'il a estimé que son maître ne serait pas capable de mettre de côté la rancœur génétique des Torres pour les sorcières Düsud et que, plutôt que de le soutenir, il l'a éloigné pour retarder l'échéance.

 Il lui en voudra pour ça, l'Ange n'est pas dupe. Il le connaît beaucoup trop bien pour ne serait-ce qu'espérer de la compréhension lorsqu'il arrivera au campement avec derrière lui Saïna et l'ennemi naturel de n'importe quel guerrier de l'Incendie vivant ou ayant vécu sur le littoral. Là d'où ils viennent, on menace les enfants à coup de sorcière mangeuse d'hommes pour qu'ils obéissent, parce qu'elles sont les alliées d'Asgaroth et Erebia, parce qu'elles violent les hommes et jettent leurs fils à la mer… Parce que la légende veut que leur toute première Porte-voix leur ait été vendue par un Torres.

 Alors forcément, tandis qu'ils se rapprochent du camp et que Saïna est perdue dans ses pensées, l'Ange essaie de trouver un point de fuite dans la dispute à venir. Il va bien falloir qu'il s'y confronte, d'autant plus que la chasseuse lui a donné la garde des affaires du Porte-voix. Haaaaaa. Non, définitivement, ça n'ira pas.

 Le simple fait qu'il porte à l'épaule un sac marqué du croissant de lune argenté et tienne l'arme du porte-voix — un bâton de combat dont les extrémités sont sculptées en têtes d'ours, serties de cristaux d'eau — sera trahison. Le fait qu'il ait appuyé Saïna, et qu'il l'appuiera pour défendre leur hôte, sera trahison.

 L'Ange tout entier sera trahison comme il ne l'a jamais été auparavant et, bien que son amour et son respect pour Svan soient sans pareille mesure, il n'est pas sûr de réussir à se dépêtrer de la situation à venir. Pas rapidement, du moins.

 Il ne leur faut plus très longtemps pour arriver au camp où, contre toute attente, on ne les attend pas. Les tentes ont été montées dans une petite clairière et personne n'est là avec sa lame au poing. Svan a pourtant pris quelques minutes d'avance sur eux… Il a dû foncer au commandement, directement auprès d'Edora. Peut-être que tout le camp n'est pas encore au courant et qu'ils parviendront jusqu'à un endroit tranquille avant que les problèmes ne débutent et l'émeute avec eux.

 « Où est-ce qu'on… »

 Saïna, visiblement prise de court par la situation. Elle n'a pas dû penser à ce qu'ils devraient faire une fois sur place. L'Ange jette un œil au Porte-voix : pas de gémissement, pas de spasmes… Son état n'est pas critique.

 « Au commandement, Saïna. Ils sauront quoi faire. »

 Elle hoche la tête, claque des rênes pour diriger son cheval. Ils n'ont pas pénétré le cercle des tentes que déjà des guerriers apparaissent autour d'eux et s'approchent.

 « Hey l'Ange ! » Maurce, des cuisines, sur sa droite. « Wow, c'est qui celui-là ? »

 Et l'Ange ne sait pas quoi répondre. Il ne peut que se tourner vers le cuisinier et lui adresser un pâle sourire tandis que les questions s'enchaînent autour d'eux.

 « Ce serait pas un gamin du Maelstrom ?

 — Un cousin d'celle qu'ils gardent au commandement ? »

 Celles qu'ils gardent ? L'Ange regarde vers Saïna et remarque sa crispation. Elle aussi attend qu'il y ait un problème qui émerge. Qu'ils comprennent.

 « L'Ange de Torres, Saïna, arrêtez-vous s'il vous plaît. »

 Le ton calme et froid de la capitaine Hina émerge loin devant eux et leur glace le sang. L'un comme l'autre savent pertinemment que s'ils ont eu de la chance jusqu'à présent, elle est maintenant terminée. La capitaine Hina a servi sur les côtes du royaume… et comme l'indique le regard tout en mépris qu'elle pose sur eux, elle ne compte pas les laisser passer.

 La foule s'épaissit encore un peu tandis qu'ils obéissent et la capitaine, sans venir se camper aux pieds de leur monture, prend la tête des guerriers qui les entourent. La lance dans le dos et l'armure parfaitement ajustée, comme c'est appris lors des classes, elle croise les bras et fronce les sourcils.

 « Je peux savoir ce qu'il fait là ? »

 Elle ne demande pas, elle exige. Les regards que toutes et tous posent sur eux sont autant de soutiens silencieux. Il est temps pour eux de parler, mais pour dire quoi ?

 « Il est l'invité de la maison Lorl. »

 Comme tous les autres, l'Ange cherche des yeux la personne qui vient de parler.

 « Mais poussez-vous ! »

 Il faut quelques secondes et autant de commentaires acerbes à Regia pour émerger sur la gauche de la capitaine Hina. La rouquine jette un regard noir derrière elle, soupire puis s'époussette comme pour faire retrouver à sa tenue l'état convenable qu'elle a perdu peu après le départ du contingent.

 D'un sourire parfaitement policé, elle indique à l'Ange qu'elle se chargera de la suite de l'échange.

 « L'invité de la maison Lorl ?

 — Absolument, capitaine Hina. » Inspire et vient se placer juste devant la guerrière. « C'est de lui que nous attendions des nouvelles.

 — Ah oui ? » Le sourire de la Capitaine glace un peu plus l'Ange. « Il n'est pas un Archimage de la Dernière faille.

 — Vous avez raison.

 — Alors pourquoi m'a-t-on menti ?

 — Parce que vous n'auriez jamais accepté sa venue.

 — C'est vrai, mais en même temps… » Elle lève alors le bras et, d'un mouvement souple, dégaine sa lance pour la pointer vers Saïna. « Comment voulez-vous que j'accepte que le fils d'Irelia à la Peau bleue vienne ici ? »

 À ces mots, mus tant par l'instinct que la hiérarchie, d'autres dégainent leurs armes et la colère grimpe. La Lorl recule d'un pas tandis que deux autres figures pénètrent le cercle formé par la foule : Hetros de Lorl, Fer-blanc au clair et regard dur, ainsi que Drast de Gasal qui, les mains levées, semblent être plus partisan du calme que d'autre chose.

 « Ne nous…

 — La ferme, Drast. »

 L'Ange se tourne vers Svan, dont il a reconnu le timbre haineux. Leurs regards se croisent. Son ami ne le voit pas et son maître le méprise…

 « Vous allez répondre à la question que la Capitaine vous a posée ? »

 L'injonction, sortie de nulle part, appuie un peu plus la foule, qui se rapproche lentement des chevaux… Et l'Ange a déjà vu ça. Il sait comment les émeutes commencent. Par chance, Hetros comme Drast reculent sans faire trop de vagues. Il ne manquerait plus qu'ils les encouragent.

 « Capitaine, je…

 — Oui, l'Ange ? »

 Elle l'a coupé dans son élan, le regard toujours aussi dur et la masse de guerriers dense. Qu'il s'exprime, toutes et tous l'écoutent. Ils n'attendent d'ailleurs que ça : une réponse. Pourquoi le Porte-voix se trouve-t-il ici ? Pourquoi l'amène-t-on au camp sans qu'il ne soit ligoté ? Pourquoi n'ont-ils pas été concertés ? Ne serait-ce que prévenus, d'ailleurs… Et toutes ses questions qui tourbillonnent en l'Ange ne s'accrochent à rien. Il ne sait pas et, par réflexe, se tourne vers Saïna.

 La chasseuse devrait bien avoir quelque chose à dire, non ?

 « Je vois. Saïna, donc ? Ou n'importe lequel d'entre vous d'ailleurs. Je ne demande pas plus qu'une bonne raison de vous laisser passer. »

 La capitaine ne ment pas. S'ils trouvent une raison suffisante pour forcer le passage, elle s'écartera et les escortera jusqu'à la Commandante.

 « Un ordre du roi est-il suffisant pour vous convaincre, capitaine Hina ? »

 Tripas Longvue, pour qui la foule s'est fendue par la droite. Il pose sur la capitaine un regard chargé du dédain qu'il porte pour tous les Cent-noms. Un léger sourire en coin, visiblement bien heureuse d'enfin pouvoir lui répondre, la capitaine ne se démonte pas.

 « Vous me confirmez donc que le Roi de l'Incendie sait, et qu'il veut que nous les laissions passer ?

 — Oui. »

 Un sourire, très bref, puis la capitaine pivote. La foule suit et la pire haie d'honneur que l'Ange ait jamais vue s'ouvre sous ses yeux. Certains seulement ont rangé leurs armes. Tous fixent Saïna qui, après un regard avec Hetros de Lorl, met son cheval au pas. Un regard à Svan, qui le dévisage.

 Un claquement de rêne et l'Ange suit, Drast à ses pieds. Ça n'est pas terminé, toutes et tous le savent.

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