-:" Amis d'enfance ?" répéta-t-elle, doucement, presque incrédule. Son regard se posa sur lui avec une intensité nouvelle, contenue mais brûlante.
" C'est vraiment tout ce que tu crois que nous sommes, Star ?"
Sa voix demeurait calme, mais le ton vibrait d'une émotion maîtrisée avec effort.
-:" J'ai été là pour toi, dans tes triomphes, dans tes échecs, dans tes abîmes. Pas par devoir, ni par pitié. Mais parce que…" Elle hésita un instant, comme si le mot lui-même la brûlait.
"Parce que tu comptes pour moi. Plus que tout."
Ses mains se crispèrent brièvement à ses côtés avant de se détendre. Elle semblait se retenir physiquement de l'atteindre. Star détourna le regard, ses traits redevenant de marbre.
-:" À présent, tu n'as plus besoin de supporter ce poids avec moi. Contente-toi de gravir sans regarder en bas, madame la prodige."
Puis, sans attendre de réponse, il se détourna. Ses pas étaient lents, lourds, comme si chaque mètre qu'il gagnait sur elle lui coûtait quelque chose.
Nyx resta d'abord figée, le souffle suspendu. Le murmure lointain des étudiants dans le couloir semblait étrangement étouffé, avalé par le battement sourd de son cœur. Puis, soudain, elle bougea.
En un geste vif, elle s'avança et saisit son bras avant qu'il ne franchisse la porte. Sa main se referma fermement, le stoppant net.
-:" Pas comme ça, Star."
Sa voix, basse et pressante, fendit le silence. Pas de supplique. Pas de tremblement. Une pure détermination, froide et tranchante.
-:" Tu n'as pas le droit de me congédier avec quelques mots. Pas après tout ce qu'on a traversé."
Star resta muet, mais ses muscles se tendirent sous sa prise. Nyx ne lâcha pas. Au contraire, elle le força doucement à se retourner pour lui faire face. Son regard se planta dans le sien, et Star put voir la tempête qui s'y déchaînait : colère, douleur, amour, tout à la fois.
-:" Je ne te laisserai pas me repousser. Pas avant que tu ne m'écoutes complètement."
Elle fit un pas en avant, réduisant la distance entre eux à presque rien. Sa présence s'imposa comme une marée lente et inévitable. Une main se posa contre le mur, près de la tête de Star, enfermant subtilement son espace. L'autre gardait toujours son bras.
Le souffle de Nyx effleurait sa peau lorsqu'elle parla à nouveau, plus doucement, mais avec une intensité vibrante.
-:" Tu dis que je ne suis qu'une amie d'enfance. Que je suis naïve, que je ne vois pas ce que tu es. Mais tu te trompes, Star."
Elle plongea son regard dans le sien, un regard si profond qu'il en devint presque insoutenable.
-:" Je te vois. Tout de toi. L'échec, la douleur, la beauté du chaos qui t'habite. Et j'aime tout ça. Chaque parcelle, chaque fragment que tu refuses au monde."
Elle marqua une pause, laissant le silence peser entre eux. Leurs souffles se mêlaient à présent. L'air vibrait d'une tension presque tangible.
-:" Alors ne me dis pas que c'est fini. Parce que ce que je ressens pour toi, Star… ce n'est pas un devoir, ni une illusion. C'est une vérité. Et elle me brûle, mais je l'assume."
Star demeura silencieux, figé, les yeux écarquillés non pas par la peur, mais par ce mélange de vulnérabilité et d'intensité qu'il n'avait jamais su gérer.
Son cœur battait si fort qu'il crut l'entendre résonner dans les murs.
Et, pour la première fois depuis longtemps, il ne sut plus s'il devait fuir… ou rester.
Star resta immobile. Les mots de Nyx flottaient encore dans l'air, suspendus comme des fragments brûlants qu'il ne parvenait pas à chasser. Son souffle était court, irrégulier, et dans son regard, une tempête muette grondait.
À cet instant précis, il comprit une chose qu'il avait toujours voulu nier :
il n'avait jamais rien connu d'autre qu'elle comme trésor à chérir. Elle était son ancrage, sa lumière et sa blessure.
Ses souvenirs affluèrent, comme une marée lente et acide. Les jours passés à rire sous les vieux réverbères, les nuits à refaire le monde, les batailles partagées, les regards silencieux qui disaient plus que des mots… Tout cela, il l'avait gravé si profondément qu'il ne pouvait plus dissocier son existence de la sienne.
Mais cette proximité, ce lien, il le sentait désormais comme s'il n'était pas une bénédiction. C'était une blessure ouverte, une plaie qu'il refusait de laisser cicatriser.
Et plus elle restait, plus cette plaie s'enracinait, plus il s'y attachait.
Il voulait rester là, auprès d'elle. Il voulait lui dire qu'il ne désirait rien d'autre. Que sa simple présence rendait le monde supportable.
Mais les mots restèrent prisonniers de sa gorge.
Parce qu'il savait. Parce qu'il avait peur.
Peur que son destin à lui ce qu'il portait, ce qu'il devenait la consume. Peur que son ombre ne dévore sa lumière.
Et au fond de lui, quelque chose s'éveilla.
Un murmure. Un froid familier. La négation.
Ce pouvoir qui s'enracinait dans sa douleur, qui effaçait, qui rejetait, qui niait. C'était une extension de lui-même, de ce refus viscéral de laisser les choses être.
Il sentait cette force glisser dans ses veines, comme une encre sombre cherchant à redessiner son monde.
Mais il s'en moquait. Ce n'était pas sa préoccupation.
Tout ce qu'il voulait, c'était qu'elle vive. Qu'elle parte. Qu'elle ne soit pas brisée à cause de lui.
Alors, malgré la brûlure dans sa poitrine, malgré le poids de sa vérité, il fit ce qu'il savait faire de mieux : détruire ce qu'il aimait avant que cela ne le détruise.
Il leva les yeux vers elle.
Son regard n'était plus qu'un miroir froid, un océan sans reflets. Ses lèvres tremblèrent, mais sa voix, elle, resta glaciale.
-:" Tu ferais mieux de m'oublier, Nyx. Ce que tu ressens… ce que tu crois voir en moi, tout ça, ce n'est qu'une illusion."
Puis, lentement, il écarta sa main, brisant la prise qu'elle avait sur lui. Le contact se rompit avec un frisson presque tangible, la chaleur elle-même s'était retirée du monde.
Nyx voulut dire quelque chose, mais il fit un pas en arrière. Un seul. Puis un autre. Chaque pas semblait l'arracher un peu plus à ce qu'il était.
Le silence s'installa, lourd, écrasant.
Star se détourna, s'éloignant dans le couloir dont les néons vacillaient. Son ombre se mêla à la pénombre
fluide, mouvante, presque vivante.
Et alors qu'il disparaissait peu à peu dans l'obscurité, il pensa : "Je ne veux pas de regrets… mais je ne veux pas la perdre."
Un souffle douloureux lui échappa. Son pouvoir, lui, continuait de s'ancrer, d'effacer doucement ce qu'il laissait derrière lui telle une marée noire recouvrant la trace de ses pas.
Il voulait l'éloigner. Mais au fond, il savait : elle resterait gravée en lui, comme cette cicatrice qu'il refusait de refermer.
Le monde s'effondra autour de lui. Ou plutôt, ce fut lui qui tomba à l'intérieur du monde.
Une chaleur déchirante le transperça, puis le silence.
Un silence qui n'était pas absence de son, mais absence de sens. Tout s'effaça les couloirs, la voix de Nyx, même son propre nom semblait se dissoudre dans l'air.
Quand il rouvrit les yeux, il était ailleurs.
Devant lui, un paysage impossible :
une mer de lave s'étendait à perte de vue, illuminant les cendres d'une ville morte. Les tours métalliques, calcinées, s'élevaient comme des prières silencieuses vers un ciel fissuré.
Et, dominant tout, trônait cette chose, cette silhouette titanesque, mi-dieu, mi-statue enfermée dans une cage d'or et d'acier, rongée par la rouille et la lumière du feu.
Un vide en cage.
L'expression résonna dans son esprit avant même qu'il ne l'invente.
C'était comme si quelqu'un, ou quelque chose, la lui murmurait, juste derrière sa conscience.
Il fit un pas. Le sol craqua sous lui, mais ne céda pas.
Chaque respiration lui brûlait la poitrine, chaque battement de cœur semblait répondre à un rythme ancien, celui du monde mourant autour de lui.
Et plus il regardait cette cage céleste, plus il sentait que cette vision n'était pas étrangère.
Il la connaissait. Il l'avait déjà vue, quelque part, entre deux rêves, entre deux réminiscences de douleurs qu'il croyait enfouies.
Puis la lumière changea.
L'air vibra, et dans cette vibration, une forme apparut devant lui. Elle. Nyx.
Mais pas la Nyx réelle pas celle qu'il avait laissée derrière, les yeux pleins de colère et de tendresse mêlées. Celle-ci était différente. Plus pâle, presque translucide. Elle souriait, un sourire calme, résigné.
-:"...Star… "
Sa voix semblait venir de loin, comme un écho prisonnier d'un gouffre.
Il voulut l'approcher, mais son corps resta immobile, enchaîné par quelque chose qu'il ne voyait pas.
Et quand il tenta de parler, il sentit le poids d'un souffle invisible lui presser la gorge.
Devant ses yeux, Nyx s'effaça lentement.
Sa silhouette se désagrégea en particules de lumière qui s'élevèrent vers la cage céleste, où la statue divine s'inclina légèrement, comme pour accueillir une offrande.
Alors, Star comprit : cette divinité n'était pas seulement enfermée. Elle dévorait.
Elle absorbait la mémoire, la présence, l'âme même de ceux qu'il aimait. Et cette fois, elle lui prenait Nyx.
-:" Non…" murmura-t-il.
Mais le mot se perdit, englouti par le vacarme soudain du feu.
Un rugissement emplit l'air, suivi d'un craquement dément. La cage vibra, ses anneaux se fendirent, projetant des fragments de métal en fusion.
Au centre, la créature divine ou ce qu'il croyait être tel bougea. Ses ailes de pierre s'écartèrent lentement, libérant un souffle incandescent.
Et de cette gueule muette, une voix, profonde, impérieuse, résonna dans son esprit :
" Tu n'es pas prêt à comprendre. Mais tu as vu. Et cela suffit."
Puis tout se renversa.
La lave se mit à couler à rebours, les cendres regagnèrent le ciel, la lumière se replia sur elle-même, et Star sentit sa conscience se disloquer.
Il tomba ou peut-être fut-il rejeté. Rejeté du rêve. Rejeté de la vision.
Quand il rouvrit les yeux, il était de nouveau dans le couloir. Son souffle haletait. Ses mains tremblaient.
Et dans ses bras… il n'y avait plus rien.
Nyx avait disparu.
Un vide terrible s'installa dans sa poitrine, un vide si profond qu'il crut un instant qu'il allait s'y dissoudre.
Son regard se porta vers l'endroit où elle se tenait. Rien. Juste l'ombre de son souvenir.
Il tomba à genoux.
Les mots de la divinité résonnaient encore dans son crâne. Et au fond de lui, une certitude : ce qu'il avait vu n'était pas une simple illusion.
C'était un fragment du réel.
Un message.
Mais de qui ? Et pourquoi maintenant ? Était-ce car il semblait à présent plus en phase avec l'essence de l'effacement qu'il incarne ?
Le feu intérieur qu'il avait toujours repoussé se mit à pulser, lentement, comme un cœur qui s'éveille.
Il comprit que cette vision n'était pas un avertissement. C'était un rappel.
Quelque chose, quelque part, attendait.
Et ce quelque chose avait déjà mis sa marque sur lui.
Le couloir s'étirait devant lui, baigné d'une lumière artificielle et froide.
Les pas de Star résonnaient faiblement contre le sol, réguliers, mécaniques, comme ceux d'un automate en quête d'oubli. Il ne savait même plus où il allait seulement qu'il devait continuer à avancer.
Ses pensées, elles, étaient encore brouillées par les images de la vision. La cage, la divinité, Nyx disparaissant entre ses bras. Ce vide en cage, il le sentait encore dans sa poitrine.
Ce fut à ce moment-là qu'il l'aperçut.
Une silhouette à la chevelure pâle traversait le couloir opposé, les doigts effleurant distraitement le manche d'une guitare qu'elle portait en bandoulière.
Chaque pas qu'elle faisait semblait étrangement accordé à une note invisible, un rythme que seul elle entendait.
Star ralentit sans même s'en rendre compte.
Ses yeux se posèrent sur elle. Cette fille… Mélissa.
Il la connaissait à peine. Juste de nom. Elle était une artiste de l'académie, toujours vue seule, le regard perdu dans la musique.
Mais il y avait quelque chose dans son allure, dans la manière dont la lumière glissait sur ses cheveux argentés, qui lui fit immédiatement penser à Eleanor de Lys.
Eleanor… cette ombre du passé, celle qui avait défié son monde, et qu'il avait juré de surpasser.
Le souvenir lui serra la gorge.
Il détourna le regard et continua sa marche, décidé à ne pas s'attarder.
Pourtant, au moment exact où ils se croisèrent, une phrase fendit le silence.
Sa voix à elle. Clair, douce, mais étrangement dissonante :
"La note que tu émets… elle est perturbante."
Il s'arrêta.
Le temps sembla suspendu.
Derrière lui, la fille restait immobile, la guitare pendue à son épaule, les yeux fixés sur son dos.
-:" Quoi ? , lâcha-t-il sans se retourner, De quoi est-ce que tu parles ?"
Un léger frottement de corde retentit une seule note, jouée du bout du doigt, vibrante, tremblante.
-:" La note qui résonne et vibre à été remplacée…" dit-elle lentement, presque comme si elle déchiffrait une partition invisible.
" Elle est maintenant incertaine et troublée. J'ai horreur de cette partition du cœur."
Star fronça les sourcils.
Il resta silencieux un moment, avant de souffler, d'un ton sec : "De quoi est-ce que je me mêle ?"
Il reprit sa marche, mais quelque chose dans sa voix avait vacillé.
Cette fille, elle n'avait rien dit de concret, et pourtant ses mots l'avaient atteint plus profondément qu'il ne voulait l'admettre.
Mélissa ne bougea pas. Elle le regarda s'éloigner, ses doigts effleurant les cordes encore une fois, laissant s'échapper une suite de notes discordantes, brisées, comme une prière hésitante.
-:"Je ne me mêle pas, répondit-elle doucement, même s'il était déjà trop loin pour l'entendre, J'écoute. Et ce que j'entends… me fait mal. "
Puis elle baissa la tête, ses cheveux glissant devant ses yeux. Dans la résonance de son instrument, une onde étrange parcourut le couloir. De la même manière qu'à l'instant, la musique elle-même pleurait pour deux âmes qui ne savaient plus comment accorder leurs blessures.
Star, de son côté, ne se retourna pas.
Mais, à chaque pas, il sentait la phrase lui revenir la note, la partition, le cœur.
Comme si Mélissa avait effleuré quelque chose qu'il essayait désespérément d'étouffer.
Et plus il avançait, plus il comprenait : cette fille n'avait pas parlé de musique. Elle avait parlé de lui.
C'est à ce moment là que le réel se fissure, où la foi de l'amour se heurte au poids du destin, quand le son conclus sur un murmure, et non pas sur un cri.
