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Chapter 3 - L’Ombre sur Lunareth

Ares flottait dans l’immensité du cosmos, son corps – ou plutôt son essence – défiant les lois de la matière. Il n’était pas une entité physique au sens classique, mais une présence, une tempête d’énergie contenue dans une forme qu’il sculptait à sa guise. À cet instant, il se manifestait comme une silhouette indistincte, enveloppée d’une cape noire qui semblait absorber la lumière des étoiles, mais dont les bordures scintillaient d’un blanc luminescent, comme si elles emprisonnaient l’éclat d’une supernova. Ses yeux, deux braises dorées, perçaient le néant, et son visage – s’il pouvait être appelé ainsi – n’était qu’un voile d’ombre changeant, capable d’adopter n’importe quelle apparence physique ou conceptuelle. Il pouvait être un humain, une bête, une idée, une flamme. Mais pour l’instant, il préférait cette forme ambiguë, un symbole de son statut de paria, à la fois majestueux et menaçant.

Ils pensaient pouvoir me contenir, songea-t-il, un rictus moqueur étirant ce qui aurait pu être ses lèvres. Mais le multivers est ma toile, et je peindrai ce que je veux.

Son regard fut attiré par une sphère bleue flottant dans l’obscurité, une planète qui pulsait d’une énergie subtile, presque primitive. Elle n’avait rien des nexus cosmiques comme Crysalis ou des forges technologiques qu’il avait visités. Pourtant, quelque chose dans son éclat l’intrigua. Simple, mais… vivante, pensa-t-il. Voyons ce qu’elle cache.

Il plongea à travers l’atmosphère, traversant les nuages comme une ombre. Lorsqu’il toucha le sol, il se retrouva dans une plaine verdoyante, bordée de forêts denses et de montagnes aux sommets enneigés. Au loin, une ville s’élevait, ses tours de pierre ornées de bannières colorées. L’air vibrait d’une magie discrète, comme un murmure sous la surface. Ares huma l’atmosphère, ses sens analysant chaque détail. Magie. Primitive, mais puissante. Et… des conflits. Intéressant.

Il décida de ne pas se présenter comme une entité cosmique. Si je veux comprendre cet endroit, autant jouer leur jeu. D’un geste de la pensée, il modela son apparence. Son corps devint celui d’un humain d’une trentaine d’années, grand, élancé, avec des cheveux noirs légèrement ébouriffés et des yeux d’un gris perçant qui conservaient une lueur de son pouvoir. Sa cape noire devint une tunique simple, mais élégante, avec des motifs argentés qui trahissaient une touche d’arrogance. Pas trop voyant, mais assez pour qu’on me remarque, pensa-t-il, satisfait.

Ares entra dans la ville, qu’il apprit rapidement à appeler Lunareth, une cité animée mais éloignée des grands conflits qui semblaient secouer ce monde. Les rues pavées grouillaient de vie : des marchands vendant des amulettes enchantées, des bardes chantant des récits de héros, et des apprenants mages lançant des sorts mineurs pour éclairer les lanternes. Des guildes dominaient la ville, leurs enseignes affichant des symboles de dragons, de loups, ou d’étoiles. Mais ce qui frappa Ares, c’était l’ignorance de cette civilisation. Ils n’avaient aucune idée du multivers au-delà de leur planète. Déconnectés. Presque… innocents, pensa-t-il, amusé. Ça va être divertissant.

Il s’arrêta devant une taverne animée, la Lune d’Argent, où des rires et des éclats de voix résonnaient. Parfait pour commencer. Il poussa la porte et entra, attirant immédiatement quelques regards curieux. Il s’installa à une table dans un coin, observant les habitants avec un mélange de curiosité et de dédain.

Ils n’ont aucune idée de qui je suis. Tant mieux.

Une serveuse s’approcha, une jeune femme aux cheveux roux bouclés et aux yeux verts pétillants, portant une robe ornée de runes discrètes. Elle posa une chope de bière mousseuse devant lui avec un sourire amical. « Bienvenue à Lunareth, étranger ! On ne t’a jamais vu par ici. Tu viens d’où ? »

Ares haussa un sourcil, adoptant un ton charmeur. « D’un peu partout, disons. Je suis… un voyageur. Appelle-moi Ares. »

« Un voyageur, hein ? » répondit-elle, croisant les bras. « Moi, c’est Lyra. T’as pas l’air d’un marchand ou d’un mercenaire. T’es quoi, un mage errant ? »

Ares ricana. Un mage errant. Quelle ironie. « Quelque chose comme ça. Dis-moi, Lyra, qu’est-ce qui se passe dans cette charmante petite ville ? On dirait un endroit… animé. »

Lyra s’assit en face de lui sans demander la permission, son attitude désinvolte intriguant Ares. « Animé, oui, mais pas toujours dans le bon sens. Lunareth est neutre dans les guerres des guildes, mais on prépare des provisions pour nos alliés du nord. La Guilde du Dragon d’Azur se bat contre les Seigneurs de l’Ombre. Ça chauffe là-haut. »

« Des guerres, des guildes, des seigneurs… » Ares feignit un soupir dramatique. « Vous ne vous ennuyez jamais, on dirait. »

Lyra rit, un son clair qui attira l’attention de quelques clients. « Oh, tu n’as encore rien vu. Tiens, si tu veux en savoir plus, tu devrais parler à Kael. C’est le forgeron local, mais il sait tout sur tout. Un peu grognon, mais il a un bon fond. »

Ares nota le nom. Kael. Peut-être quelqu’un d’utile. « Merci du conseil, Lyra. Dis-moi, tu sers quelque chose de plus… intéressant que cette bière ? »

Elle haussa un sourcil, amusée. « T’es du genre à chercher des ennuis, toi, non ? »

« Seulement les bons ennuis », répondit-il avec un sourire en coin.

Plus tard, Ares suivit le conseil de Lyra et se rendit à la forge de Kael, une bâtisse robuste à la périphérie de Lunareth. L’air sentait le métal chauffé et la magie brute. À l’intérieur, un homme baraqué, la quarantaine, avec une barbe broussailleuse et des cicatrices sur les bras, martelait une lame enchantée. Ses yeux bleus perçants se posèrent sur Ares, méfiants mais curieux.

« Qu’est-ce que tu veux, étranger ? » grogna Kael, sans arrêter son travail.

Ares s’appuya contre un mur, feignant la nonchalance. « Juste curieux. On m’a dit que tu étais l’homme à connaître ici. Je m’appelle Ares. »

Kael grogna à nouveau. « Lyra t’a envoyé, pas vrai ? Cette gamine parle trop. » Il posa son marteau et examina Ares de haut en bas. « T’as pas l’air d’un fermier ou d’un mage. T’es quoi, un noble qui s’ennuie ? »

Ares éclata de rire. Un noble. Ils sont hilarants. « Disons que je suis un… observateur. J’aime comprendre comment fonctionnent les choses. Et toi, Kael, tu forges des armes pour qui ? Les Dragons d’Azur ? Les Seigneurs de l’Ombre ? »

Kael plissa les yeux. « Je forge pour ceux qui paient. Et je pose pas de questions. Mais si t’es là pour fouiner, tu vas être déçu. Lunareth reste en dehors des gros conflits. »

« Pour l’instant », répondit Ares, son ton laissant entendre qu’il en savait plus qu’il ne le montrait. Cette ville est un pion dans un jeu plus grand. Et moi, je vais trouver les règles.

Les jours suivants à Lunareth furent une révélation pour Ares. La ville, avec ses ruelles pavées, ses marchés débordants de vie et ses tours ornées de runes, vibrait d’une énergie qu’il trouvait à la fois fascinante et pathétique. Ces gens, avec leurs guildes, leurs petits conflits et leur magie rudimentaire, ignoraient tout du multivers. Pourtant, leur passion, leur désespoir, leur ambition – tout cela l’intriguait. Ils vivent comme si leur monde était le seul qui compte, pensa-t-il, un sourire narquois étirant ses lèvres humaines. C’est presque… mignon.

Il avait passé du temps à observer Lyra, la serveuse de la Lune d’Argent, dont l’esprit vif et l’humour mordant le divertissaient. Elle semblait sentir qu’il cachait quelque chose, mais elle ne posait pas de questions directes – pas encore. Kael, le forgeron bourru, était plus méfiant, mais Ares avait gagné un semblant de respect en discutant de métallurgie enchantée, feignant un savoir qu’il improvisait grâce à ses observations sur la Forge Éternelle. Ils me prennent pour un voyageur excentrique. Parfait.

Ce matin-là, une agitation inhabituelle secouait Lunareth. Les cloches de la ville sonnaient, un son grave et solennel qui fit froncer les sourcils d’Ares. Il se tenait sur un balcon surplombant la place centrale, sa silhouette humaine drapée dans sa tunique noire aux motifs argentés, ses yeux gris scrutant la foule qui se rassemblait. Des centaines d’habitants, des marchands aux mages en passant par les artisans, convergeaient vers une estrade de bois érigée au centre. Une guillotine, sa lame luisant d’une lueur magique inquiétante, dominait la scène.

Une exécution ? pensa Ares, intrigué. Voyons ce que ces mortels considèrent comme justice.

Lyra apparut à ses côtés, son visage inhabituellement tendu. « Tu devrais pas regarder ça », murmura-t-elle, ses yeux verts fixant la foule. « C’est pas un spectacle pour les cœurs tendres. »

Ares haussa un sourcil, amusé. « Tu penses que j’ai le cœur tendre, Lyra ? » Il croisa les bras, son ton dégoulinant de sarcasme. « Dis-moi, qui va perdre la tête aujourd’hui ? »

Elle hésita, puis répondit à voix basse : « Une gamine. Mira. À peine seize ans. Ils disent qu’elle a trahi la ville, mais… personne sait vraiment ce qu’elle a fait. »

Ares plissa les yeux. Une enfant ? Intéressant. « Trahi comment ? »

Lyra haussa les épaules, mais son expression trahissait une colère contenue. « Ils parlent de ‘complot contre la guilde’, mais c’est vague. Les Seigneurs de l’Ombre auraient des espions partout, et le Conseil de Lunareth veut faire un exemple. »

Avant qu’Ares puisse répondre, un homme monta sur l’estrade, vêtu d’une robe pourpre ornée de runes dorées. Sa présence imposait le silence à la foule. Ses cheveux gris étaient tirés en arrière, et son visage anguleux portait une expression de froide autorité. Un homme qui aime le pouvoir, pensa Ares, reconnaissant immédiatement le type. Il avait vu des milliers comme lui dans le multivers.

« Citoyens de Lunareth ! » proclama l’homme, sa voix amplifiée par un sortilège, résonnant dans la place. « Je suis le Haut Magistrat Voryn, gardien de la justice. Aujourd’hui, nous punissons une traîtresse ! Mira, fille de nul clan, a conspiré avec les Seigneurs de l’Ombre pour livrer nos secrets ! Elle a menacé la paix de notre ville, de nos alliés, de notre monde ! »

La foule réagit de manière disparate. Certains criaient leur colère, brandissant des poings ou des amulettes. D’autres murmuraient, mal à l’aise, échangeant des regards inquiets. Une femme pleurait en silence, serrant un enfant contre elle. Ares observa chaque détail, son esprit analysant les émotions comme un prédateur étudiant sa proie. Divisés. Ils ne savent pas quoi croire.

« Ils vont vraiment tuer une gamine sans preuves claires ? » demanda Ares à Lyra, son ton neutre mais ses yeux brillant d’une lueur calculatrice.

Lyra serra les poings. « Voryn est un serpent. Il dirige le Conseil avec une main de fer. Si Mira est coupable, pourquoi pas un procès public ? Pourquoi tout ce mystère ? »

Parce que le pouvoir prospère dans l’ombre, pensa Ares, mais il garda cela pour lui.

La foule s’écarta, et deux gardes en armure escortèrent une jeune fille vers l’estrade. Mira était frêle, ses cheveux bruns en désordre, ses poignets liés par des chaînes enchantées qui scintillaient faiblement. Ses yeux, d’un bleu perçant, balayaient la foule avec un mélange de peur et de défi. Elle ne pleurait pas, mais ses lèvres tremblaient légèrement.

Elle n’a pas l’air d’une traîtresse, pensa Ares. Mais les apparences sont trompeuses. Comme moi.

Voryn leva une main, et la foule se tut. « Mira, as-tu quelque chose à dire avant que la justice s’abatte ? »

Mira releva la tête, sa voix tremblante mais claire. « Je n’ai rien trahi ! J’ai juste… parlé à quelqu’un. Il disait vouloir aider Lunareth, pas la détruire ! Vous mentez tous ! »

Un murmure parcourut la foule. Certains crièrent « Traîtresse ! », tandis que d’autres semblaient hésiter, troublés par son ton sincère. Voryn, impassible, fit un geste, et un garde força Mira à s’agenouiller devant la guillotine.

Ares sentit une étrange tension en lui. Pourquoi m’en soucier ? pensa-t-il. Ce n’est qu’une mort. J’ai vu des mondes entiers s’effondrer. Pourtant, quelque chose dans le regard de Mira – cette lueur de défi malgré la peur – le toucha. Peut-être parce qu’il reconnaissait un paria quand il en voyait un.

Lyra agrippa son bras. « Ares, fais quelque chose ! » chuchota-t-elle, désespérée. « Tu disais être un mage, non ? Tu peux pas juste… regarder ! »

Ares la fixa, un sourire narquois sur les lèvres. « Et pourquoi je risquerais ma couverture pour une gamine que je connais pas ? »

« Parce que t’es pas aussi cruel que tu le prétends », rétorqua Lyra, ses yeux lançant des éclairs. « Je le vois. Tu joues les durs, mais t’es pas comme Voryn. »

Ares éclata de rire, un son grave qui attira quelques regards. Elle est perspicace, celle-là. « Tu me connais à peine, Lyra. Mais… d’accord. Voyons ce que je peux faire sans trop m’amuser. »

Il leva une main, discrètement, et une vague d’énergie invisible s’infiltra dans la guillotine. La lame, enchantée pour trancher même les défenses magiques, se mit à vibrer légèrement, puis s’immobilisa, comme figée par une force invisible. Les gardes échangèrent des regards perplexes. Voryn fronça les sourcils, sentant une perturbation.

« Qu’est-ce que… ? » marmonna-t-il, sa voix trahissant une pointe d’inquiétude.

Ares se tourna vers Lyra, feignant l’innocence. « Oups. On dirait que leur jouet est cassé. »

La foule commença à murmurer, certains criant à la sorcellerie, d’autres au miracle. Mira, toujours agenouillée, leva les yeux, confuse mais pleine d’espoir. Voryn, furieux, ordonna aux gardes de vérifier la guillotine, mais Ares savait qu’ils ne trouveraient rien. Son pouvoir était bien au-delà de leur compréhension.

Je pourrais détruire cette ville d’une pensée, songea-t-il. Mais où serait le plaisir ?

« Pourquoi t’as fait ça ? » demanda Lyra, à voix basse, ses yeux brillant de gratitude mais aussi de suspicion.

Ares haussa les épaules. « Disons que j’aime pas les spectacles mal organisés. Et puis, cette gamine… elle a du cran. Ça me rappelle quelqu’un. »

Lyra le fixa, essayant de percer son masque. « T’es bizarre, Ares. Mais… merci. »

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