Le lendemain.
Pendant ce temps, j'étais assis au salon, cherchant une vérité que je ne connaissais pas encore.
Peut-être est-ce ainsi que je devrais être : un homme effacé dans la société, un souffle parmi d'autres, essayant simplement d'exister à travers des choses qui ne m'appartiennent pas.
Tandis que mes pensées se perdaient, je me souvins de ce rendez-vous… une sorte de convocation, si je peux dire ainsi — celle de La Tendresse du Cœur, cette organisation étrange où mon père était l'un des principaux actionnaires.
Beaucoup en parlaient sans vraiment savoir de quoi il s'agissait.
Je me levai et me mis à marcher dans la rue.
Chaque pas semblait porter une vérité que j'ignorais, une vie que je n'avais jamais vécue.
Comme si mon être, mon âme, n'étaient qu'un reflet infini projeté dans un monde lui-même défini par le chaos — un chaos qui refuse d'être compris, mais qui se nourrit de ceux qui tentent de le comprendre.
Chaque battement de cœur résonnait dans ma tête comme un rappel, une pulsation étrangère à ma propre chair.
Chaque respiration devenait une question :
Est-ce vraiment moi ?
Et au fond de cette marche silencieuse, une pensée revenait, lancinante, presque douloureuse :
Au final… pourrais-je véritablement changer ?
J'étais devant l'endroit, c'était pas loin...
Au début, j'aurais préféré que tout cela se passe chez moi.
Un endroit que je connais, où les murs au moins m'appartiennent.
Mais après tout… ce n'était pas si grave.
Dans la salle, tout le monde semblait tendu.
Il y avait dans l'air cette nervosité épaisse, presque palpable — comme si chacun tentait de dissimuler une faute, un secret trop lourd à porter.
Je les regardais, et plus je les observais, plus j'avais la sensation d'être dans un tribunal.
Les regards pesaient sur moi comme des jugements silencieux, prononcés par des hommes que je ne connaissais pas, et que je n'avais jamais demandé à rencontrer.
Pourtant, une chose était claire.
Comme tous les humains, leur première intention n'était pas la vérité… mais le prix.
Toujours le prix.
L'argent, la reconnaissance, le pouvoir… peu importe le nom qu'on lui donne.
Au final, nous sommes tous les mêmes : nous cherchons désespérément à exister.
Seulement, nous ne le faisons pas de la même manière. j'observais, j'essayais de comprendre quel était réellement leur but.
Même si, au fond, je le savais déjà.
Le profit. Toujours le profit.
Mais j'avais besoin d'entendre de leurs propres bouches ce qu'ils allaient dire.
Un homme s'approcha de moi. Grand, élancé, un regard posé, presque bienveillant.
Il dégageait cette étrange impression d'avoir du respect pour moi… et même une forme de compassion.
Sûrement avait-il appris la mort de mon père.
Si seulement il savait.
Si seulement il savait que c'est moi qui l'ai tué.
Que j'ai pris du plaisir à le faire.
Si seulement il connaissait ma noirceur… ma mort intérieur...
Nous avons marché ensemble, lentement, jusqu'à une grande porte.
Derrière, plusieurs personnes étaient déjà installées : des ministres, des députés, et toutes sortes de visages souriants, maquillés de bienséance.
La Tendresse du Cœur — c'était ainsi qu'ils appelaient leur fondation.
Un projet philanthropique, disaient-ils. Une organisation destinée à aider les enfants défavorisés, à leur permettre de s'intégrer socialement.
Mon père y avait investi beaucoup d'argent.
Il avait même financé la création d'une école.
Le projet était maintenant terminé, et j'étais censé être présent… parce que j'étais son fils.
Une simple formalité.
Une représentation.
Et forcément la gestion de l'école...
Mais à vrai dire, je n'avais aucune envie d'être là.
Aucune.
Je n'avais rien à faire de leurs discours, ni de leurs sourires.
Un homme se leva et s'avança vers moi.
Il portait un costume trop ajusté, un parfum trop cher, et un sourire trop poli.
— « Bonjour, Gréy. Je suis heureux que tu sois là. Ton père nous parlait souvent de toi, et aujourd'hui, nous avons enfin l'honneur de te rencontrer. »
Sa voix sonnait faux.
Pas complètement hypocrite, non — juste assez pour qu'on sente qu'il jouait un rôle.
Et moi, je le regardais, silencieux, en pensant que tout cela n'était qu'une farce.
Quand on te fait venir pour te parler d'argent, alors que tout ce que tu veux, c'est simplement exister, respirer librement dans un monde qui ne t'étouffe plus…
L'argent n'est plus une solution.
C'est juste un autre piège.
Un autre mur entre toi et la paix.
Un autre des membres de La Tendresse du Cœur prit la parole, le ton solennel :
— Bonjour, Gréy. Comme tu le sais, nous ne pouvons pas vraiment avancer dans ce projet sans ta présence. Les contrats que ton père avait signés précisent clairement qu'il doit être représenté par un membre de sa famille pour que les démarches continuent.
Il marqua une pause, me regarda avec ce faux air bienveillant que les hommes d'affaires savent si bien feindre.
— Nous avons déjà beaucoup avancé, poursuivit-il. Mais il faut désormais ton accord, ta participation. Nous aimerions que tu t'impliques, que tu viennes sur le terrain, que tu retrousses tes manches pour que tout cela puisse aboutir.
Il esquissa un sourire forcé.
— Ta mère ou toi pouviez remplir ce rôle, mais comme nous savons que… tu es seul, nous sommes heureux que tu sois enfin là.
En entendant cela, j'ai pris une grande inspiration. Comme quelqu'un qu'on venait de noyer et qui, après un long moment, parvient enfin à sortir la tête de l'eau.
Pas pour juger cette fois, non. Mais parce qu'enfin, j'avais entendu quelque chose d'honnête. Quelqu'un qui parlait franchement — pas un de ces discours lisses, pleins de "Monsieur" et de faux sourires — juste un homme qui disait ce qu'il pensait.
Ce projet… oui, il était intéressant. Mais moi ? Est-ce que je suis vraiment la bonne personne pour m'occuper d'enfants ? Est-ce que quelqu'un comme moi peut encore prétendre à ça ? Je ne sais pas.
Le financement était presque terminé. Il ne manquait que ma signature, mon accord, pour que les orphelins puissent enfin avoir leur école. Et, au fond, je suis sûr que Jessica aurait aimé ça.
Alors j'ai dit oui. Simplement.
J'ai accepté d'intégrer La Tendresse du Cœur, de m'impliquer dans les volets financiers et physiques, comme ils disaient. J'ai conclu que je deviendrais, moi aussi, un membre à part entière du groupe — comme mon père.
Mais dans leurs regards, je voyais bien qu'aucun d'eux ne voulait vraiment de moi ici. Ils étaient là par obligation, comme liés à moi par l'argent… l'argent de mon père.
Peut-être que participer à ce projet me ferait pardonner auprès de Dieu.
Même si, honnêtement… je doute encore qu'un homme comme moi puisse être pardonné.
La nuit était tombée, et la grande ville pouvait enfin retrouver un semblant de calme…
Pas un vrai calme, non. Un calme artificiel, fragile, qui ne dure jamais très longtemps.
Les Youtubeurs, les Tiktokeurs et tous les autres enquêteurs du web s'étaient tus.
Mais la nuit, le silence change — il devient plus bruyant que le jour.
Jacques, lui, était encore devant son écran.
Toujours à la recherche d'informations sur moi, le tueur de la forêt ensanglantée.
Son père, Rory, ne dormait pas non plus.
Il restait allongé sur le lit, les yeux fixés au plafond, incapable de trouver le repos.
— « Qu'est-ce que tu as, Rory ? » demanda sa femme en se tournant vers lui.
Sa voix tremblait légèrement lorsqu'il répondit :
— « J'ai l'impression d'avoir échoué. Cela fait plus de trois ans que je suis sur cette affaire… on a même créé une division spéciale pour ça. Et pourtant, aucun résultat. »
Sa femme posa une main sur son bras et le caressa doucement.
— « C'est vrai, tu ne l'as pas encore arrêté… ce malade. Mais tu n'as pas dit ton dernier mot. Et puis, le fait qu'on t'ait retiré l'affaire n'est pas forcément une mauvaise chose. »
Sa voix était pleine de douceur, presque maternelle.
Pendant ce temps, au salon, Jacques luttait contre la fatigue.
Ses yeux piquaient, son dos lui faisait mal. Il s'apprêtait à fermer l'ordinateur pour enfin aller dormir…
Mais juste avant d'appuyer sur le bouton, une notification apparut à l'écran.
> "Invitation à rejoindre un groupe privé de passionnés de criminologie."
Intrigué, Jacques hésita.
Il resta figé quelques secondes, puis ferma brusquement l'ordinateur.
Mais la curiosité finit toujours par gagner.
Quelques instants plus tard, il ralluma la machine et cliqua sur le lien.
Le site s'ouvrit sur une page obscure, sans logo, sans visage.
Des messages défilaient, accompagnés d'images choquantes : archives policières, scènes de crime, photos jamais publiées.
Le groupe s'appelait La Guilde.
Ils parlaient de moi avec une fascination presque religieuse.
Certains se disaient admirateurs, d'autres... imitateurs.
Plus Jacques lisait, plus il découvrait que beaucoup d'entre eux étaient de véritables monstres : tueurs, violeurs, cannibales.
Tous cherchaient la même chose : le plaisir absolu, celui que seule la mort semblait leur offrir.
Au fond, ce n'était rien d'autre qu'un refuge pour les âmes perdues, une secte numérique née des ténèbres du Dark Web.
Mais Jacques, lui, ne voyait pas encore le danger.
Il était fasciné.
Fasciné par les récits, les confessions, les détails morbides.
Et sans même s'en rendre compte… il rejoignit le groupe.
Leur devise était simple, mais glaciale :
« La mort nous unit. Le sang nous révèle. »
Leurs devises étaient à la fois simples et terrifiantes :
« La mort nous unit. Le sang nous révèle. »
Jacques lut ces mots à voix basse, comme une prière interdite.
À ce moment précis, quelque chose se brisa en lui — ou peut-être s'ouvrit.
L'écran de son ordinateur éclairait son visage d'une lumière froide, presque cadavérique.
Une fenêtre s'ouvrit : un salon de discussion anonyme, avec des pseudos étranges.
> @LORD_MEAT : "Bienvenue, nouvel apôtre."
@SOULBREAKER_89 : "Présente-toi avec ton œuvre. Sans sang, tu n'es personne ici."
Jacques hésita. Ses doigts tremblaient.
Il aurait dû quitter ce site, débrancher l'ordinateur, courir dans la chambre de ses parents.
Mais il resta là, fasciné.
Un autre message apparut, signé d'un nom qu'il connaissait trop bien.
> @FOREST_KING : "Nous suivons celui que tu cherches. Le tueur de la forêt. Il t'a déjà vu."
Le cœur de Jacques s'arrêta une seconde.
Moi ? pensa-t-il. Ils parlent de moi… ou de lui ?
Un lien s'afficha — une vidéo, floue, datée d'il y a trois jours.
On y voyait un corps suspendu, puis un symbole tracé dans la terre : un œil ouvert dans une flamme.
Jacques se sentit mal.
Ce symbole, il l'avait déjà vu dans les rapports du S.H.A.R.D, dans les photos classées "TOP SECRET".
Et maintenant, il apparaissait ici, dans La Guilde.
Il voulut fermer la fenêtre, mais une dernière ligne s'afficha en rouge :
> "Nous savons que tu cherches la vérité. Alors viens ! ."
L'écran s'éteignit brutalement.
Le reflet de Jacques resta imprimé sur le noir de l'écran.
Dans ses yeux, un mélange de peur et d'obsession venait de naître.
