Le carrosse s'arrêta devant une grille d'acier noir ornée d'un blason rouge sang : une tête de faucon déployant ses ailes au-dessus d'une couronne. Le domaine du Duc Alvar. Une légende dans les rues, un cauchemar chez les domestiques.
Saphira descendit, ses sandales effleurant à peine les dalles de pierre.
On ne lui fit aucune présentation. Un majordome au visage sec et taillé comme une lame lui fit signe de le suivre. Les couloirs sentaient le cuir, la cire chaude et… la peur. Elle la sentait. Partout.
Des servantes passaient sans oser lever les yeux. Des hommes d'armes postés aux portes fixaient l'horizon comme s'ils s'attendaient à une attaque. Même les murs semblaient écouter.
— Tu dormiras au sous-sol. Tu ne parles pas sans qu'on te parle. Tu ne regardes pas le maître. Tu ne touches rien qui n'est pas à toi.
La voix du majordome était sèche, rapide, mécanique.
— Tu t'appelles comment ? demanda-t-il sans s'arrêter.
Elle hésita. Le silence pesa. Puis :
— Saphira.
Il la dévisagea, surpris qu'elle réponde.
— Trop prétentieux pour une domestique. On verra si ce nom survit un mois ici.
Ils descendirent un escalier étroit. Le couloir souterrain était humide, faiblement éclairé par des lanternes tremblotantes. Il lui montra une pièce minuscule où une paillasse grattait le mur, à côté d'un seau. C'était là qu'elle dormirait.
Avant de partir, il ajouta :
— Le jeune maître Rowen ne veut personne autour de lui. S'il croise ton chemin… change de direction. Compris ?
Elle hocha la tête. Encore une ombre parmi les ombres.
Mais cette nuit-là, alors que la maison s'endormait dans le silence tendu de ses couloirs, Saphira ne dormait pas. Elle était assise sur sa paillasse, les bras autour de ses genoux, les yeux ouverts dans l'obscurité.
Et pour la première fois depuis longtemps, elle ne se sentit pas invisible.
Elle se sentit… en danger.
Et étrangement, ça la fit sourire.